carambolages.jpg, janv. 2024
"Assassiner un étranger a toujours un petit côté ennuyeux. Tandis que l'étripage en famille, c'est régulier, c'est traditionnel, c'est bourgeois. Et puis, ça a tout de même plus d'allure ! Tuer un étranger, on pense à France-Soir. Un parent, on pense à Sophocle."

La curiosité est piquée par le carton initial, "Les personnages et les événements de ce film ne sont que le fruit d’une brillante imagination. Si de mauvais esprits s’avisaient d’y découvrir une critique, même nuancée d’un certain patronat, ou d’une certaine police, cette opinion serait réputée diffamatoire et impitoyablement poursuivie comme telle", probablement en lien avec de précédents ennuis du réalisateur ou des scénaristes — ou simple boutade pour attirer l'attention. Film étonnant et original, entre deux époques, Jean-Claude Brialy extirpé de la Nouvelle Vague, Louis de Funès pas encore tout à fait célèbre, un clin d'œil rapide d'Alain Delon, et une pléthore de seconds rôles dont on connaît les visages sans en connaître les noms qui peuplent le lieu unique de l'histoire, une entreprise répartie sur une dizaine d'étages illustrant la vision résolument moderniste du travail de l'époque, 1963.

Tout repose sur une base un peu foutraque et loufoque : un employé modeste rêve de gravir les échelons de son entreprise et commence à y croire sérieusement lorsque son supérieur prépare sa retraite — il va pouvoir monter d'un cran et le remplacer. Pas de bol, une réforme des retraites décale l'âge de départ (un détail à caractère documentaire, énième bégaiement de l'histoire), et s'étant engagé dans diverses grandes dépenses au travers de multiples crédits, il se voit contraint d'assassiner une tête parmi les cadres supérieurs pour mettre en route l'ascenseur social. Carambolages, ce n'est donc que ça : l'observation d'une perturbation (une mort) dans l'équilibre très instable (les liens de subordination) au sein d'une hiérarchie soudainement remuée et virant au chaos (l'entreprise chancelante).

Et la situation évoluera vers quelque chose de complètement chaotique, même si les événements se précipiteront assez tardivement dans le récit. Sans doute que l'on peut marquer le début du grand glissement vers l'hystérie générale avec l'irruption de Michel Serrault, dans le rôle d'un inspecteur complètement barjot, qui semble s'être fait une ligne de coke de trop. C'était encore l'époque et le cadre dans lesquels Michel Audiard (aidé sans doute de Pierre Tchernia) savait contenir sa verve sans s'épancher de manière trop caricaturale et désagréable — j'ai encore les excès chez Gilles Grangier dans Les Vieux de la vieille qui résonnent dans ma tête, avec un Gabin en roue libre totale. On ne jugera évidemment pas le film à la profondeur de sa critique de l'arrivisme, étant donné qu'il est ici davantage question d'enfilade un peu répétitive de gags dans un esprit de bande dessinée, certes sur fond de satire virulente.

img1.jpg, janv. 2024 img2.jpg, janv. 2024 img3.jpg, janv. 2024