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Un crépuscule

Si l'on connaît le László Nemes qui a réalisé Le Fils de Saul, on n'est pas vraiment déstabilisé au moment de pénétrer dans l'espace de la Mitteleuropa au début du XXe siècle, à l'orée de la Première Guerre mondiale. De la même façon qu'on suivait le Sonderkommando travaillant dans un crématorium d'Auschwitz-Birkenau en 1944, on resté systématiquement collé à Irisz Leiter (jouée par l'actrice hongroise Juli Jakab) dans sa quête pas toujours parfaitement explicite, mais en tous cas retournant à Budapest au cœur de l'empire austro-hongrois en 1913 avec pour objectif d'intégrer un célèbre magasin de chapeaux — l'occasion de réviser le vocabulaire afférent, modiste = créateur de chapeaux pour femmes, chapelier = plutôt pour les hommes, chapellerie = industrie ou commerce des chapeaux. On apprend peu à peu, dans une brume scénaristique très volontairement maintenue, qu'elle est orpheline, que ses parents sont morts dans un incendie et qu'ils étaient les anciens propriétaires du magasin. Un peu plus tard viendra l'hypothèse d'un frère qui serait toujours en vie et qui animera la dynamique de la dernière partie du film.

Le style de Nemes est presque immédiatement reconnaissable à ses atmosphères extrêmement travaillées, ses ambiances sombres et immersives assorties de nombreux plans-séquence, et aussi, il faut le dire, un certain jusqu'au-boutisme dans les partis pris esthétiques qui atténuent malheureusement pas mal la portée et la force d'un tel exercice de style me concernant. Probablement qu'une expérience au cinéma aurait été profitable. Non pas qu'il faille absolument tout comprendre en toute circonstance dans toutes les fictions, mais il me semble en tous cas que dans Sunset on a sacrifié une bonne part d'intelligibilité pour entretenir un mystère qui n'était pas totalement justifié et nécessaire. L'atmosphère aurait très bien pu se faire tout aussi prenante, diffusant son souffle menaçant aux contours incertains, sans cette part obscure très importante à l'origine d'un inconfort pas toujours moteur.

Dans Le Fils de Saul, il était question d'offrir une sépulture à un enfant. Ici, il s'agit en quelque sorte de percer un secret familial pour l'héroïne qui enquête sur son passé et ses origines, avec la toile de fond du chaos de l'époque. Ce décor, je l'ai trouvé assez fou, avec sa ville emplie de dangers, la mort à chaque coin de rue, le monde au bord du désastre. Le mystère de cet empire est saisissant car on oscille entre la gloire et la décadence, entre les intérieurs luxueux et la rue tel un coupe-gorge. Mais il manque un certain sens pragmatique pour éviter proprement le virtuose asphyxiant sur la durée, en compagnie de ce personnage témoin et acteur du chaos un peu trop confus dans les complots et les faux-semblants qu'elle traversera. Une opacité qui semble parfaitement contrôlée et tissée, fertile par endroits, mais qui semble quand même aussi largement excessive, quand bien même elle s'accorderait harmonieusement avec le mouvement accompagnant le crépuscule d'une civilisation.

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