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"You just get disgusted after a while with humanity for not having more, kind of like, intellectual curiosity about what's behind all this jive bullshit."

Je ne connaissais pas grand chose de l'univers de Robert Crumb, pas plus que de son œuvre étant donnée mon inculture patente en matière de bandes-dessinées, si ce n'est qu'il était dans les années 50/60/70 une icône de la contre-culture underground, l'auteur de Fritz The Cat et un dessinateur d'une manière générale plutôt barré. Une chose est sûre, en tous cas, et ce n'est pas le documentaire de Terry Zwigoff qui aura modifié ma perception à ce niveau-là : tout ce qui entoure le personnage de Crumb, sa personne comme son univers artistique, est une source intarissable de féroces bizarreries...

C'est d'ailleurs un portrait des Crumb et non de Crumb, tant sa famille est au premier plan du documentaire. Robert n'est qu'une pièce du puzzle, un élément isolé d'un schéma totalement barjot, et on réalise peu à peu que c'est le seul membre d'une famille assez timbrée à avoir développé une certaine capacité d'intégration en société, à avoir entretenu une vie sociale minimale (on ne va tout de même pas aller jusqu'à la qualifier de normale). Avec un frère détruit par les médicaments et les tentatives de suicide (dont une, survenue l'année qui suivit le documentaire, alla au-delà de la simple tentative), un autre qui passe son temps sur un tapis de clous quand il n'est pas dans la rue pour mendier, une mère semble-t-il ravagée par une vie difficile et des souvenirs d'un père à la fois violent et obnubilé par le sacro-saint rêve américain, on se dit que le petit Robert est de loin le plus chanceux de tous. Celui qui s'en est le mieux sorti en tous cas. On en vient à se demander ce qu'auraient donné les autres membres de la fratrie, dont la marginalité apparaît comme une simple carapace ne demandant qu'à être rompue, s'ils avaient fait preuve de la même capacité d'adaptation sociale... Et quand Terry Zwigoff lui demande s'il n'a aucun remord à l'idée de s'exiler dans le sud de la France (qui semble être moins pire que les États-Unis selon ses mots), on sent poindre un soupçon de gêne, un début de malaise.

C'est un documentaire bien ficelé qui ne se contente pas de retranscrire platement, chronologiquement, la vie de Crumb. Une telle démarche aurait été magnifiquement inadaptée au sujet. On rentre directement dans son monde, dans ses obsessions, dans ses peurs, et bien sûr dans ses dessins. Le ton du docu est très simple, très direct, on sent une vraie sincérité dans les échanges : le contenu paraît naturellement authentique. On finit par être familier avec le personnage, avec son allure, avec son chapeau, et avec ce sacré rictus. On trouve de nombreux intervenants, principalement des proches issus de son entourage divers, mais aussi l'historien d'art Robert Hughes (que j'avais croisé au détour de sa série documentaire American Visions: The Epic History of Art in America) qui le compare tour à tour avec Daumier, Goya, et Bruegel entre deux commentaires sur sa tendance masturbatoire frénétique.

Crumb est une incroyable vision d'un être à la frontière de la normalité, paumé quelque part entre le loufoque et l'attendrissant. Quelques fois normal, quelques fois paradoxal, à la fois très ouvert et très conscient de ses déviances, de ses fantasmes, de ses peurs pas toujours très avouables. Un marginal socialisé, à la drôle de sérénité, au détour d'une vie sordide mais non dénuée de poésie. Un peu comme le documentaire sur Lynch sorti cette année (The Art Life, cf. ce billet), on comprend mieux l'origine de son art et de ses lubies en empruntant des sentiers bien détournés.

Jesus. Fuckin' raging, epithet music comin' out of every car, every store, every person's head. They don't have noisy radios on, they got earphones; like, "motherfuckin', cocksuckin', son of a bitch. Lot of aggression. Lot of anger, lot of rage. Everybody walks around, they're walkin' advertisements. They've got advertisements on their clothes, you know? Walking around with "Adidas" written across their chests, '49'ers on their hats. Jesus. It's pathetic. It's pitiful. The whole cultures' one unified field of bought-sold-market researched everything, you know. It used to be that people fermented their own culture, you know? It took hundreds of years, and it evolved over time. And that's gone in America. People now don't even have any concept that there ever was a culture outside of this thing that's created to make money. Whatever's the biggest, latest thing, they're into it. You just get disgusted after a while with humanity for not having more, kind of like, intellectual curiosity about what's behind all this jive bullshit.

Robert Crumb

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