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Incertitudes en correspondance

Frost est un film très étrange, dans sa forme surtout. Un film aux contours flous et sciemment entretenus comme tels. Un peu trop, sans doute. Tellement flou qu'il est rythmé par une série ininterrompue de questions qui ne trouveront que très rarement de réponses claires et précises. Tellement flou qu'à la fin du film, au terme d'un travelling vertical s'élevant dans les nuages au-dessus d'un corps inanimé dans une zone de combat enneigée, au cœur du Donbass ukrainien, on ne sait toujours pas s'il s'agit du portrait évasif à l'extrême d'un couple de jeunes lituaniens, Rokas et Inga, et de leur implication dans une mission humanitaire, ou bien s'il s'agit d'une chronique de guerre sur le conflit qui agite l'Est de l'Ukraine depuis 2014 entre l'armée ukrainienne et les forces séparatistes pro-russes. L'inconfort qui en résulte, présent dès le début à travers une présentation très parcellaire des lieux, des événements, des enjeux et des personnages, se transforme peu à peu en choix artistique intelligible, acceptable, qui pourra (ou non) porter ses fruits.

Rokas, un jeune lituanien dont on ne saura rien de plus que ce qui intervient dans le strict cadre temporel du récit, se retrouve au tout début du film embarqué dans une mission humanitaire incertaine en direction de l'Ukraine. Quelles sont ses motivations ? Ses contraintes ? On n'en saura strictement rien.

Il est accompagné d'une jeune femme, Inga, dont le contexte sera tout aussi évasif. Quelle relation unit les deux ? On n'en saura rien, ou pas grand chose. Seulement quelques éléments nous sont donnés, au détour de certaines discussions sur l'amour et la jalousie, au détour de certains regards, permettant de penser qu'il y a probablement une vague histoire d'amour qui se trame.

Leur mission passe par une étape dans une ville polonaise éloignée des conflits, à la rencontre d'un certain Andrzej (et de Vanessa Paradis, une journaliste de guerre dans le film, dont le temps de présence à l'écran doit se limiter à quelques minutes). Qui est cet homme, quel est son rôle dans la logistique de la mission ? On n'en saura quasiment rien, si ce n'est qu'il doit probablement être impliqué dans la coordination. Mais c'est à l'image de la mission humanitaire elle-même : qu'y a-t-il vraiment dans la fourgonnette ? Des vêtements, des chaussures et du matériel de secours comme Rokas l'affirme plusieurs fois aux contrôles ? Ou bien une cargaison d'armes ? Et surtout, où doivent-ils aller livrer cela, précisément ? On n'en sait rien, et on ne peut que deviner, interpréter, extrapoler.

L'incertitude extra-diégétique rejoint étrangement celle qui régit l'existence des deux protagonistes dans le récit. Et l'enjeu de Frost se trouve sans doute dans cette correspondance-là.

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