Plus je vois de films avec Jean Gabin et plus je me rends compte de son talent pour rendre crédible un métier. Il suffit de quelques plans, ici, pour croire sans retenue à son rôle de routier, c'est assez exceptionnel. On a presque l'impression d'avoir affaire à un témoignage de la profession. Soldat d'en bas dans La Grande Illusion, militaire dans Gueule d'amour, conducteur de train dans La Bête humaine... On y croit toujours aussi naturellement, sans accroc, sans fausse note. Je n'en connais pas deux comme lui.
Des gens sans importance est un peu à la croisée du film noir et de la romance, comme on peut s'y attendre à la lecture d'un résumé quelconque, mais aussi du film sur la classe ouvrière. Il y a bien sûr Jean Gabin et son collègue Pierre Mondy, au centre du tableau sur la déshumanisation du travail et sur des conditions difficiles qui sont une entrave parmi beaucoup d'autres à la joie de vivre. Le brouillard et la grisaille sont partout, dans les paysages et dans les cœurs. Mais il y a également une belle galerie de personnages (et donc de métiers) secondaires, avec le patron de bar, l'opérateur de grue, les femmes de ménage, la mère maquerelle d'une maison close, le contremaître de l'entreprise de transport, avec tous les seconds plans que cela peut supposer, des portraits de vie de famille ou des instantanés chez des inconnus rencontrés sur la route.
L'histoire sur les classes populaires se révèle attachante, centrée sur des gens qui tentent de s'en sortir dans un univers assez peu chaleureux, jonché d'obstacles, voire carrément hostile. C'est de l'ordre du réalisme matérialiste, au sens où il n'y a pas vraiment de place à la poésie dans ce monde-là, une tranche de vie que l'on observe à la faveur d'un flashback teinté de mélancolie — forcément. Les détails de la vie quotidienne sont aussi nombreux que l'existence semble morne, et ces ingrédients constituent une sorte de chronique assez dure, inéluctable, maculée de gris, sur la condition humaine. L'absence de démonstration dans la démarche et la sincérité qui se dégage confèrent au film une pudeur et une force toutes deux incroyables.
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