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Délices de papier

Que ce soit le premier ou le second (ou le troisième) film d'animation de l'histoire du cinéma, on est en droit de ne pas s'en soucier outre mesure. C'est sans doute à l'heure actuelle le plus vieux que l'on soit parvenu à conserver et à retrouver, certes, mais ce genre d'assertion ("le premier dessin animé de l'histoire du cinéma") me paraîtra toujours aussi temporaire, difficilement démontrable, et donc plutôt vaine. On peut déjà le formuler un peu différemment : c'est l'un des premiers longs métrages d'animation de silhouettes de l'histoire du cinéma. Pas besoin d'aller au-delà pour apprécier pleinement, d'une part, la minutie exquise avec laquelle ces bouts de papiers sont animés pour créer des personnages incroyablement vivants, des costumes hauts en couleur, et des décors foisonnants, et d'autre part, la capacité de cette œuvre à rayonner aujourd'hui, malgré son petit centenaire, et à émouvoir comme au premier jour.

Les influences d'un tel procédé sont forcément innombrables, tous supports confondus, et c'est sans hésitation le Princes et princesses de Michel Ocelot qui vient le plus directement à l'esprit. Le travail de Lotte Reiniger me semble quoi qu'il en soit beaucoup plus passionnant dans sa gestion des ombres et dans son décorum onirique, à défaut d'adopter une narration claire et concise. Ce mélange de contes féériques issus des Mille et une nuits a de quoi en égarer plus d'un sur son chemin, tant les histoires et les actes s'enchaînent avec une vitesse un peu trop importante pour profiter pleinement du spectacle. Un spectacle entièrement basé sur du découpage, faut-il le rappeler, qui dura trois ans. Le souci du détail explose dès les premières images, nourrissant un charme sidérant.

Il y a de quoi être impressionné par la profondeur graphique d'un tel dispositif se contentant de mettre en lumière (bleu, rouge ou orange, principalement) des ombres, toutes situées au même plan, sans effet de perspective pour étoffer le champ. L'enchantement est entièrement lié à l'image, et au final très peu à la narration (ou beaucoup moins, en tous cas). Les aventures du prince Ahmed recèle une part de mystère dont on peut se délecter, bien qu'elle soit renforcée de manière indirecte, par la complexité du scénario. Je me contenterai de garder en mémoire quelques séquences fabuleuses, incrustées sur ma rétine : le prince Ahmed qui s'envole sur le cheval du mage africain, le duel entre la sorcière et le mage dans un tourbillon de transformations et de boules de feu, et surtout la poésie somptueuse de la baignade de Pari-Banou alors que le prince est caché dans la végétation avoisinante.

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