Un bout de pellicule retrouvé 25 ans après sa sortie quelque part au Danemark, et voilà ressuscité le film de Grémillon. L'état est proche de la catastrophe tant la qualité s'apparente plus au daguerréotype poussiéreux qu'autre chose, mais assez bizarrement ce grain très épais et ces multiples imperfections renforcent l'opacité du mélodrame et la noirceur de l'histoire, très épurée, qui voit un homme et son fils prisonniers de leur phare, au milieu d'une mer déchaînée.
Gardiens de phare procède par une série d'allers-retours, entre la terre et la mer, entre le présent et le passé, entre la réalité et le rêve, entre le champ sur les hommes qui partent en bateau et le contrechamp sur les femmes bigoudènes qui leur disent au revoir. C'est une vision de l'onirisme qui peut faire penser à la poésie d'un Jean Vigo, mais c'est du côté de Jean Epstein que les passerelles sont les plus nombreuses, à commencer par le très grand dénominateur commun de la culture bretonne que le film partage avec Finis Terrae, lui aussi le regard rivé sur les côtes rocailleuses du Finistère battues par le vent et la marée, lui aussi focalisé sur le travail éprouvant des hommes — en l'occurrence les goémoniers.
Mais la trame narrative a une importance largement supérieure ici, puisque un des ressorts dramatiques est lié au déclenchement de la maladie chez l'un des personnages, qui avait été mordu par un chien (enragé, on l'apprendra après) avant son départ. Peu à peu, il sombre dans la folie, cloîtré dans le phare, au sein d'une atmosphère incroyable faite d'ombre et de lumière qui parvient malgré tout à se frayer un chemin à travers les défauts de pellicule. On lorgne par moments presque du côté du fantastique, renforçant encore une fois le parallèle avec Epstein, cette fois-ci du côté de La Chute de la maison Usher (sorti un an avant). L'accès de rage chez le fils peut paraître un peu outrancier vu d'aujourd'hui, limite horrifique, mais la montée en tension angoissante reste entière : la tragédie qui se noue dans les dernières minutes, alors qu'on vient de quitter des flashbacks heureux, alors que les femmes restées à terre croient que la catastrophe est évitée lorsque la lumière du phare se rallume, n'en est que plus poignante.
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