Le cinéma d'horreur a souvent associé les transformations horrifiques (quel que soit le type de monstre) aux transformations liées à l'adolescence (puberté, éveil de la sexualité, etc.), mais Ginger Snaps aborde cette thématique avec une frontalité originale et intéressante, sans faire trop de compromis. Que ce soit l'histoire de loup-garou ou l'apparition des premières règles, John Fawcett adopte une mise en scène inhabituelle, très franche et crue sous certains aspects tout en conservant tout de même une bonne part de progressivité dans le dévoilement d'autres composantes qui ne seront éclaircies que tardivement dans le récit.
Une grande part de la réussite (modérée, on reste dans le cinéma d'horreur assez conventionnel sur la plupart des thèmes abordés et globalement moyen malgré tout) du film tient à l'interprétation du trio de femmes, les deux ados Emily Perkins et Katharine Isabelle, puis dans une moindre mesure la mère jouée par Mimi Rogers. La connivence des sœurs jusque dans leur rapport morbide au suicide ("Suicide is like... the ultimate fuck you", "Wrists are for girls. I'm slitting my throat"), avec un jeu autour de la mise en scène photographique de morts atroces, la situation des parents complètement à l'ouest (la mère un peu moins que le père malgré tout), puis la solidarité dans l'adversité une fois que la grande sœur se fait agresser par une bête le jour de sa menstruation : tout cela concourt à un tableau original du décorum étudiant américain vu et revu au cinéma. Notamment l'incertitude de l'ado en cours de transformation, dont on peine à faire la part des choses (et elle la première) entre appétit sexuel naissant et gangrène du lycanthrope ("I get this ache... And I, I thought it was for sex, but it's to tear everything to fucking pieces").
À mes yeux le film aurait gagné à se faire un peu plus débridé dans l'horreur ou la comédie horrifique, notamment lorsqu'il s'agit de suivre les contaminations et les tentatives de guérison. À l'inverse, le film conserve un ton sérieux qui tend à atténuer les enjeux et enfermer le scénario dans un espace étroit — sauf le personnage de la mère, prisonnière d'un pragmatisme naturellement comique. La dimension artisanale des effets spéciaux rend les passages gores assez sympas, hormis peut-être quelques figurations du loup-garou particulièrement disgracieuses. Le travail de mise en perspective des deux composantes du récit, monstruosité et adolescence, fournit un cadre quoi qu'il en soit appréciable disposant de son lot de réussites.
8 réactions
1 De Nicolas - 16/11/2023, 09:43
Bien qu'amateur d'horreur, les films de loups-garous ne sont pas ma tasse de thé. Je n'ai pas vu tous les classiques du genre (par ex. le film de la Universal avec Lon Chaney Jr.) mais de ceux que j'ai vus seuls Le loup-garou de Londres et La compagnie des loups ont trouvé grâce à mes yeux.
Je n'ai pas encore vu ce Ginger Snaps ; mais ça viendra surement, ne serait-ce que pour voir au moins une fois un film du genre dont les protagonistes sont des "louves-garoues".
Puberté féminine et lycanthropie, ca me fait penser à une nouvelle fameuse de Suzy McKee Charnas, intitulée Boobs (Nibards en vf).
Un titre un brin potache qui ne rend pas la qualité et la sensibilité du texte !
Ah... Généralement, dans ces séries B, on a tendance à dire que les enjeux sont atténués quand les récits ne vont pas au bout de leurs implications les plus sérieuses, les plus tragiques, et se replient seulement sur leurs aspects les plus légers, les plus humoristiques... C'est drôle que tu aies ressenti l'inverse avec ce film...
2 De Renaud - 16/11/2023, 10:15
Petite précision qui ne transparaît probablement pas des masses dans mon texte : Ginger Snaps pourrait presque ne pas être classé dans la catégorie de films de loups-garous, tant c'est plus traité comme un élément perturbateur. Je préfère préciser pour éviter une éventuelle déception... :)
Et oui, c'est vrai, mon sentiment va à rebours des reproches classiques, je ne m'en étais pas rendu compte. Peut-être mon côté éternel insatisfait ! Après c'est un film quand même assez particulier, il a des bases très intéressantes, il manque juste quelques petits trucs pour convaincre un plus large public je pense.
Mais pour le reste, je ne suis pas non plus un grand fan du genre, même si comme toi j'ai bien aimé Le Loup-garou de Londres (La Compagnie des loups beaucoup moins). J'apprécie pas mal Joe Dante donc son Hurlements est bien passé, et en matière de bizarreries je recommanderais presque Wolfen, très particulier mais je trouve qui vaut le détour.
Intrigant cette nouvelle hahaha.
3 De Nicolas - 16/11/2023, 15:00
Dans un cadre réaliste, et non de fantasy, la lycanthropie est toujours un élément perturbateur, non ? (à part peut-être dans Twilight, mais je ne suis jamais risqué à cette saga... )
Blague à part, je pense que je comprends ce que tu veux dire.
Un film comme Teddy des frères Boukherma pourrait alors se rapprocher de cette approche.
Il ne démarre pas dans du mauvais genre, type horreur ou polar, mais par une chronique adolescente et sociale, avant que l'élément fantastique ne vienne détraquer encore plus l'ensemble.
J'apprécie modérément Joe Dante mais certains passages de son Hurlements m'ont bien plu (le début et la fin, essentiellement).
Wolfen vaut le détour, oui. J'aurais aimé l'aimer plus...
PS : en y repensant, dans les films avec loups-garous que j'ai pu voir, je ne me souviens pas vraiment d'images de transformation de personnages féminins...
Dans Hurlements, il me semble que c'est escamoté.
Comme si c'était la Belle ou la Bête mais jamais les deux en même temps ?
Dans Wolf de Mike Nichols, je ne me souviens pas d'un poil supplémentaire sur le beau visage de Michelle Pfeiffer, après morsure... (elle a de toute façon les traits plus félins que lupins ; Tim Burton ne s'y est pas trompé. )
Raison de plus pour jeter un œil à ce Ginger Snaps.
4 De Renaud - 16/11/2023, 15:23
Et bien sûr, la fin d'une de mes phrases manquait.. Je voulais dire : "traité comme un élément perturbateur"... d'un récit d'apprentissage. En l'occurrence, deux personnages féminins, l'adolescence, le rejet des autres, la puberté, la sexualité... Mais on se comprend en effet. Ce n'est pas un Underworld oui, pour prendre une autre référence premier degré (que j'imagine être mieux que Twilight, mais n'ayant moi non plus jamais osé poser mes yeux dessus, on restera dans la spéculation).
Sinon pour continuer le défrichage, on m'avait souvent vanté les mérites de Dog Soldiers mais je n'avais pas beaucoup accroché à l'époque (vu il y a assez longtemps).
Et oui, Teddy ! Un film insolite. J'ai moyennement aimé, mais je respecte beaucoup ce genre d'expérimentation.
En revanche, je n'ai toujours pas vu la contribution de Mike Nichols au genre... Un jour !
5 De Nicolas - 16/11/2023, 17:07
Vu une première il y a longtemps, il m'avait paru sympathique. Revu plus récemment, j'ai déchanté...
C'est très brouillon, à mon sens, dans l'écriture comme dans la mise en scène.
Malgré son casting de haut vol, c'est largement dispensable.
Dommage que Francis Ford Coppola n'est pas réalisé le film, comme ce fut un temps envisagé.
Mike Nichols est un réalisateur souvent trop sage à mon goût
(et à celui du romancier Jim Harrison qui démissionna de son poste de scénariste : "Je voulais du dyonisiaque, il voulait de l'appolonien !")
6 De Renaud - 16/11/2023, 17:19
J'aime beaucoup la citation de Harrison haha, merci. Concernant Mike Nichols, on avait discuté récemment au sujet de Catch-22, pour lequel j'ai de l'affection au-delà de ses défauts et de son côté bordélique, mais est-ce que ça veut dire que tu n'aimes pas son The Graduate ? Ou alors c'est l'exception ? :D
7 De Nicolas - 17/11/2023, 11:52
On peut dire ça. Je l'ai vu il y a bien longtemps et il m'avait déçu. Je l'avais trouvé agréable à l'œil, et à l'oreille, mais assez inconséquent dans son récit.
J'en attendais peut-être trop ; il signait, avec le Bonnie & Clyde d'Arthur Penn (que je trouvai autrement plus fort), l'arrivée du Nouvel Hollywood sur la grand scène des Oscars...
De Mike Nichols, j'ai vu récemment Ce plaisir qu'on dit charnel et il m'a semblé bien fade, malgré son sujet (et les efforts louables d'Ann-Margret pour faire monter la température).
8 De Renaud - 17/11/2023, 13:36
Pour le coup, entièrement d'accord sur le "fade malgré son sujet" en ce qui concerne Ce plaisir qu'on dit charnel... Le film de Nichols que j'aime le moins pour l'instant.
Le Lauréat, je l'avais vu une première fois en étant mollement convaincu, et c'est une conf de Jean-Baptiste Thoret (avec son enthousiasme communicatif, même si tout ne fait pas sens parmi la profusion d'infos qu'il avance) qui m'avait donné envie d'y retourner, il y a quelques années, et j'avais davantage accroché, le recours ponctuel à divers symbolismes, une once d'humour pour retranscrire l'asphyxie sociale de Dustin Hoffman (je ne suis pas fan en général, mais je l'ai trouvé assez incroyable il y a quelques jours dans Lenny). En tous cas, les premiers remous du Nouvel Hollywood, c'est passionnant.