N'étant pas un grand connaisseur des pratiques BDSM, le documentaire Graphic Sexual Horror a déjà à la racine un mérite important, celui de la documentation sérieuse sur des pratiques sexuelles souvent présentées dans des cadres parmi les plus sordides, à commencer par la cave d'un serial killer ayant connu une enfance tragiquement malheureuse. C'est un film qui avance en toute transparence, à commencer par son titre parfaitement explicite tiré de la page d'avertissements qui s'affichait quand on souhaitait accéder au site "insex.com", apparu à l'aube d'internet en 1997 et contraint de fermer pour des raisons financières à la suite de pressions exercées par le gouvernement américain dans le cadre du Patriot Act. C'est donc en partie une petite explication en images (vraiment très) explicites de personnes qui recherchent du plaisir par la douleur, la contrainte, et l'humiliation érotique, au moyen d'un espace en ligne qui proposait aux 35 000 adhérents des sessions en direct, entre autres, avec diverses interactions possible. Le premier stream bondage à la fin du XXe siècle, en quelque sorte. Et un documentaire à réserver aux âmes peu sensibles sur le sujet.
Mais cette composante éducative n'est pas représentative de l'ensemble. On pourra certes découvrir toute une gamme de pratiques pour le moins exotiques à base de cages en métal, de liens en cuir, de cuves en verre, et de tout un tas d'objets destinés à faire souffrir volontairement en suivant les termes d'un contrat parfaitement explicite entre les deux parties. Pourtant c'est assez rapidement le fonctionnement de l'entreprise et les portraits des différents intervenant(e)s qui prend le dessus, une fois la sidération passée, après le premier contact avec ces images dérangeantes (de mon point de vue en tous cas).
D'abord le fonctionnement : comment Brent "pd" Scott, un ancien professeur d'université apparemment passionné par ces pratiques depuis sa plus tendre enfance, s'est reconverti en créateur et animateur de insex.com (qui générait au faîte de sa gloire un chiffre d'affaires d'environ 2 millions de dollars chaque mois). Un personnage forcément intéressant, dont la personnalité, la créativité, la passion, le sens des responsabilités, la fascination pour son art et le sens des affaires s'esquisseront progressivement au cours du docu. Un homme ira même jusqu'à dire de lui que "no matter how fucked up he is as a person, is in my opinion the Michelangelo of bondage and torture"... Il suffit de le voir discuter avec la personne en charge des accessoires au sujet de différentes contraintes techniques pour susciter des sentiments très contrastés. Cette sensation ne s'éloignera jamais vraiment : on sait que l'on regarde des personnes consentantes, mais cela n'enlève rien à la réalité de ce qu'elles subissent.
Et c'est là qu'apparaît une thématique centrale, celle du consentement. Tout est censé être clean, et de fait sur le papier il n'y a rien qui dépasse, les contrats sont signés en bonne et due forme, les participantes témoignent leur volonté de se soumettre à diverses pratiques en exhibant carte d'identité et contrat. Probablement que beaucoup savent très bien à quoi elles s'exposent et sont sincères dans leur démarche. Mais peu à peu se dessine le contour d'une autre réalité, lorsque certaines femmes réagissent à chaud après une session live en avouant qu'elles se sont senties violées, qu'elles n'ont pas prononcé le fameux "safe word" (un mot spécial pour arrêter, puisque les "oh no please stop!" font partie du spectacle) de peur que le direct s'arrête et que leur contrat soit rompu. La question économique arrive très vite et finalement c'est bien ça le plus choquant dans Graphic Sexual Horror et ce n'est pas rien, étant donné la dureté de certaines images. Sans doute que la séquence la plus marquante n'a rien à voir avec des aiguilles, des seins maltraités, ni même avec des marques de flagellation : lors d'une session en direct, une participante nommée s4 fond en larmes, sanglots et hyperventilation, suite à un geste qu'elle n'avait pas anticipé — quand on connaît les contraintes économiques sous-jacentes, la scène prend une tournure vraiment terrible. En s'interdisant tout jugement moral mais sans laisser beaucoup d'angles morts, Barbara Bell et Anna Lorentzon ouvrent une boîte de Pandore sur le sujet et referment leur film avec beaucoup de questions aussi imprévues que fascinantes.
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