krysar_le_joueur_de_flute.jpg, août 2023
Du bois gothique

Jiri Barta a très probablement vu beaucoup de films d'animation de Jan Švankmajer avant de réaliser Krysař, une adaptation en stop-motion de la légende médiévale allemande du Joueur de flûte de Hamelin. Cela ne l'empêche absolument pas de parvenir à créer une bulle d'originalité qui lui est propre, à l'intérieur du cinéma d'animation tchécoslovaque de la deuxième moitié du XXe siècle. L'histoire est connue, celle d'un mystérieux joueur de flûte à qui l'on promet une forte somme d'argent en échange de son aide pour débarrasser la ville de la horde de rats qui l'infeste, mais que les notables traitent avec mépris une fois la tâche ingrate accomplie. Et il se vengera... En sachant que la nature de la vengeance varie selon les versions, mais quoi qu'il en soit la fin n'est pas heureuse et entérine froidement la tonalité macabre qui s'est installée durant tout le récit.

Krysar, le joueur de flûte trouve sa singularité dans la composition même de son support physique pour le stop-motion, presque entièrement déterminée par le choix du matériau : les personnages et une partie des décors sont taillés dans le bois, leur conférant des formes anguleuses qui s'accordent particulièrement bien avec la nature du récit. Pour figurer l'ambiance dans la ville de Hamelin au XIIIe siècle, une multitude d'accessoires vient compléter les poupées de bois et les demeures des différents personnages pour illustrer certains partis pris en lien avec l'atmosphère sombre qui y règne. La majeure partie des habitants est ainsi représentée comme cupide, brutale et névrosée, avec un festival de séquences les montrant en train de ripailler salement, de se comporter comme des animaux sur la place du village, ou encore de manifester tous les signes apparents d'avarice en cachant toutes leurs richesses dans des contenants divers fermés à clés. L'atmosphère est très cohérente et réussie de ce point de vue-là, sans que l'animation n'atteigne des sommets comme Mad God de Phil Tippett (sorti 35 ans plus tard tout de même, la comparaison a ses limites).

De temps en temps la concentration en stéréotypes devient un peu excessive, au-delà de ce que ce format tolère à mes yeux, à l'image des dialogues entre les personnages figurés par des écus qui sortent de leur bouche — il n'y a pas de "vrais" dialogues, parlés, dans ce film. Bien sûr la symbolique des rats (avec quelques inserts de vrais animaux) qui envahissent la ville est très forte, mais elle complète assez bien l'ambiance gothique médiévale des ruelles étroites et des arches gothiques menaçantes, et permet de refermer l'histoire sur un mouvement franchement sordide. L'ambiance générale, avec ses couleurs et ses lumières, constitue ainsi quelque chose de vraiment saisissant, inspirée par l'univers de Robert Wiene (Le Cabinet du Docteur Caligari est une référence directe, citée par le réalisateur).

img1.jpg, août 2023 img2.jpg, août 2023 img3.jpg, août 2023 img4.jpg, août 2023 img5.jpg, août 2023 img6.jpg, août 2023