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"Intrications des dynamiques familiales et politiques chez les continuateurs d’Antonio Gramsci"

On parle souvent des liens qu'il y aurait entre Monia Chokri et Xavier Dolan (au-delà de sa présence chez lui en tant qu'actrice bien évidemment), mais je dois avouer que pour son premier film, la réalisatrice québécoise fait preuve d'une assurance et d'une indépendance assez bluffantes. Il y a quelques réflexes qui témoignent de la primeur de cette œuvre dans la filmographie de Chokri, quelques effets de style un peu lourds, quelques schémas récurrents pour insuffler artificiellement du rythme, mais rien qui ne soit pas contrebalancé ailleurs par d'autres éléments positifs.

Très honnêtement, il n'y aurait pas de film sans Anne-Élisabeth Bossé, l'héroïne. Il y a bien sûr le personnage, cette jeune femme ayant récemment obtenu son doctorat mais blasée dans toutes les directions de son existence (professionnelle, familiale, sentimentale), et il y a l'actrice, passionnante de bout en bout avec son physique inhabituel qui donne une coloration toute particulière à cette personne auteure d'une thèse sur les "intrications des dynamiques familiales et politiques chez les continuateurs d’Antonio Gramsci". Elle est célibataire, sans emploi, trop qualifiée, elle vient d'avorter et ne sait pas vraiment ce qu'elle veut — si ce n'est son amour platonique pour son frère, à l'origine de la dynamique principale de La Femme de mon frère, titre explicite puisqu'il tombera amoureux de sa gynécologue.

Et le film d'osciller entre comédie (excentrique, hystérique) et tragédie existentielle (tantôt du côté de la folie, tantôt du côté de l'émotion). Monia Chokri est parvenue à trouver la juste mesure entre les élans mélancoliques de l'impasse dans laquelle elle a l'impression de s'engager et la grande méchanceté dont elle sait faire preuve, aussi cruelle que jouissive par endroits. Il est tentant d'y voir une version intello de Bridget Jones, même si ici on voit bien que l'essentiel porte sur cette rage qui la ronge et qui l'empêche, en quelque sorte, de grandir. Dommage que certains dispositifs narratifs soient aussi dérangeants, comme notamment les changements de rythme soudains et les écarts très démonstratifs, mais l'originalité et la perspicacité l'emportent aisément.

img1.jpg, déc. 2023 img2.jpg, déc. 2023