Keaton : "I want you to know me as I am—not as the brutal, bloodthirsty beast that I am when fighting."

Sorti quelques mois avant le plus célèbre Le Mécano de la « General », on peut considérer l'adaptation Le Dernier Round (Battling Butler) comme une œuvre mineure dans la filmographie de Buster Keaton, un long-métrage pas aussi créatif que ses coups d'éclats mais qui connut malgré tout un certain succès — assurant les conditions financières suffisantes pour poursuivre sa carrière. Il reprend d'ailleurs un thème, la boxe, déjà vu dans plusieurs courts de Chaplin et extrapole la tragédie du protagoniste de Broken Blossoms ("Le Lys brisé", également victime de la dictature viriliste familiale) chez Griffith vers une tonalité comique plus légère.

Keaton acteur-réalisateur est très à l'aise pour planter le décor de la situation initiale : il incarne avec toute la conviction requise un homme aussi gringalet que fortuné, dont le quotidien est réglé de manière métronomique par son valet — Snitz Edwards, excellent second rôle. Un running gag parcourt le film dans les cartons, tandis que se répètent inlassablement les "arrange it" comme autant d'ordres énoncés placidement pour régler n'importe quelle situation. Le genre d'homme tellement inoffensif que tous les animaux sauvages semblent se moquer de lui lors d'une partie de chasse, bien qu'il soit armé d'un fusil, mesurant l'étendue de son incapacité. Et soudain, à la faveur d'un élan sentimental mal maîtrisé le faisant passer pour un champion de boxe, Battling Butler s'embarque dans le sillon classique du quiproquo impossible à tenir mais qui tiendra malgré tout jusqu'à la fin.

On le connaît si bien, cet humour laconique cher à Keaton, jouant la grosse brute qui se contiendrait : "I want you to know me as I am—not as the brutal, bloodthirsty beast that I am when fighting", lui le poids plume s'adressant à sa dulcinée qui a moins peur de la nuit en forêt que lui. Le film s'engouffre dans cette brèche exclusivement bâtie sur une homonymie hasardeuse qui l'envoie s'entraîner pour combattre "The Alabama murderer", avec quelques séquences très réussies tournées autour d'un vrai ring, filant tout droit vers une conclusion dont on connaît, là aussi, la teneur à l'avance — révélation de la vérité en toute sincérité, pardon, et bizarrerie lunaire de voir Keaton déambuler dans les rues bondées de la ville, en short, torse nu, au bras de sa femme.