
Accepter et s'habituer au style de Fassbinder n'est pas une mince affaire, et il m'aura fallu beaucoup de temps et de films avant de commencer à apprivoiser le lascar. L'épreuve aura été rude, parfois un peu ingrate, mais elle aura permis de voir émerger l'appréciation de ce Droit du plus fort et ne serait-ce que pour ça, elle aura été récompensée au centuple. Il n'y a que chez Fassbinder que l'on peut voir le mélodrame à la Sirk, genre du cinéma américain classique par excellence, assimilé et régurgité dans un moule totalement différent, dans une version allemande et homosexuelle (quand bien même sur ce dernier point, le caractère homosexuel des tribulations du protagoniste est traité de manière parfaitement équivalente à la norme de l'époque, au milieu des années 70) de la lutte des classes. Il parvient à illustrer de façon aussi émouvante que percutante un échec sentimental autant que social, à travers cette histoire de relation asymétrique entre un jeune forain ayant gagné une forte somme d'argent au loto et un jeune bourgeois dont l'entreprise est au bord de la faillite. Non, l'amour ne sera pas la passerelle entre les classes, et Fassbinder nous l'assène très violemment.
Il faut tout d'abord réussir à pénétrer dans cette ambiance, très théâtrale sous certains aspects, constamment filmée de manière crue. Cette crudité dans le regard renforce qui plus est la dimension masochiste du geste du réalisateur-acteur, avec une série constante d'humiliations de son personnage : il incarne à merveille ce paumé trop sensible qui met la main sur un gros paquet d'oseille tout en restant aveugle à la cupidité de son entourage. Il y a toujours ce mélange de bourrin, de malsain et de vulnérable dans les films de Fassbinder, ici en l'occurrence pour montrer comment Franz aka Fox ne voit rien venir de la machination dégueulasse qui se trame autour de lui, ou encore comment les rapports de classe produisent des chocs frontaux — au travers de la séquence du repas où le prolo ne comprend pas pourquoi on s'obligerait à boire du blanc avec du poisson.
Et finalement c'est assez drôle de voir Fox devenir peu à peu l'amant d'un fils de bourgeois, tendre et soumis, à mesure qu'on lui fait découvrir cet univers qu'il ne connaissait absolument pas et contrastant fortement avec le bistro crado dans lequel il avait l'habitude de traîner. De temps en temps, des signaux plus ou moins explicites se manifestent à lui : en vacances au Maroc, il se heurte à une forme étrange de racisme qui interdit le personnage de El Hedi ben Salem (dans un rôle moins ambitieux que celui de Tous les autres s'appellent Ali), déclassé parmi les déclassés, de rentrer dans leur hôtel. Mais tous ces signaux convergent finalement vers le dernier plan, d'une cruauté et d'une noirceur folles. Les agissements de son amant ne sont pas forcément le résultat d'une abominable machination, ce dernier étant largement mis en scène dans des situations d'incertitude et d'hésitation : il y a bien davantage une question de fatalité, d'incompatibilité presque constitutive de leur couple.
De manière brutale, Fassbinder fait déambuler son protagoniste au milieu des horreurs du racisme, du consumérisme et des sphères bourgeoises gay pour mieux le fracasser contre le mur de son innocence : l'argent lui aura fait miroiter une sensation d'appartenance à une classe supérieure, mais en l'absence de connaissance de ses codes et de ses coutumes, elle ne sera que de très courte durée une fois la fortune dilapidée. Comme le dira un des personnages au sujet de Fox, "ce n'est pas le genre de gars que l'argent rend riche". Jamais l'amour entre les deux n'aura trouvé de terreau fertile, et le constat est sans doute l'un des plus tristes que j'aie vus chez Fassbinder.





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