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La croyance contre l'expérience

Le cinéma tchécoslovaque des années 60 semble riche en œuvres explorant un segment particulier de l'histoire, entre le 16ème et le 17ème siècle, situé à la fin du Moyen Âge et aux prémices de l'ère moderne. Jiří Weiss arborera le ton du conte dans La Fougère dorée (1963) pour tisser une romance sur fond de guerres austro-turques, Eduard Grecner s'intéressera à des superstitions médiévales dans The Return of Dragon (1968), et Hynek Bocan a des conflits opposant protestants et catholiques au cours de la guerre de Trente Ans dans Honneur et Gloire (1969). Le Piège du diable, antérieur à tous ceux-là, s'inscrit à la fois dans cette dynamique mais aussi dans une trilogie historique de František Vláčil, aux côtés des plus renommés Marketa Lazarová et La Vallée des abeilles, sur une thématique connexe : l'opposition entre le religieux et le profane.

Les inimitiés trouvent ici leur origine dans la jalousie que nourrit un régent à l'encontre du meunier, ce dernier bénéficiant d'une réputation très favorable et d'un profond respect auprès de la population. Le pouvoir ne voit pas cette forme de souveraineté d'un bon œil, et entend bien y remédier : d'une part en faisant courir la rumeur selon laquelle il serait sous l'emprise de sorcelleries diaboliques, et d'autre part en mandatant un prêtre jésuite pour enquêter sur cette famille. Car en cette période d'intense sécheresse, faisant de l'eau une denrée rare, l'homme qui dirige le moulin est devenu particulièrement populaire : il est capable de localiser des sources comme personne, semble-t-il par la technique et l'expérience, et en fait profiter tous les paysans des alentours. L'œuvre du diable, assurément, pensent les autorités (politiques et religieuses).

De ce conflit périphérique naîtra des antagonismes profonds entre la religion et un certain pragmatisme (scientifique, pourrait-on dire), comme l'annonce ce plan introductif hautement signifiant où une statue immense au premier plan surplombe la petite figure du meunier au dernier plan. Une légende irrigue en outre le récit : le meunier alors enfant et sa famille auraient miraculeusement survécu à l'incendie de leur moulin, à l'époque où les croisades suédoises ravageaient le pays. Mais cela ne suffira pas pour monter la population contre celui qui semble être le seul capable de fournir une réserve en eau. Et lorsque le prêtre et le régent tenteront d'anéantir plus directement celui qu'il considère comme une émanation diabolique (concurrençant leur influence), il disparaîtra mystérieusement dans les catacombes situées sous le moulin. L'occasion, peut-être, d'un nouveau piège...

Le Piège du diable offre une vision intéressante de l'opposition entre les pouvoirs séculaires, à travers trois archétypes (le régent, le prêtre, le meunier) qui nourrissent un discours sur la croyance. Le climat qui en résulte est particulièrement lourd et menaçant, parcouru de toutes parts par le poison de la suspicion. La mise en scène est d'une sobriété et d'une solennité très à-propos, avec quelques effets très réussis comme la vision en plongée d'un gouffre perçu comme maléfique, le sol qui se craquèle lors d'une fête locale comme la manifestation d'une prophétie, ou encore ce mouvement de caméra pendulaire en direction de la porte d'entrée du moulin, récurrent et vertigineux. Un voyage assez peu relaxant sur les terres de l'Inquisition.

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