naufrages_de_l-ile_de_la_tortue.jpg, janv. 2020
"Robinson démerde-toi, 3000 francs rien compris"

Première incursion du côté de Jacques Rozier... et quel voyage ! Quel bordel, surtout. Aucun autre film, à ma connaissance, n'accompagne Pierre Richard dans un tel délire devant et derrière la caméra. Il est presque méconnaissable dans le rôle de cet agent de voyage qui pense avoir l'idée du siècle en proposant un séjour un peu particulier : partir sur une île déserte dans un dénuement quasi total, à l'image de Robinson Crusoé. C'est d'ailleurs le titre de leur offre commerciale, "Robinson démerde-toi, 3000 francs rien compris".

Sauf que le film, une vraie bizarrerie, n'adopte en rien le ton ou le rythme d'une comédie d'aventures telle qu'on la définirait. Au cours de ces 2h20, Les Naufragés de l'île de la Tortue (il n'y aura d'ailleurs ni véritable naufrage ni véritable tortue, seulement une simulation de naufrage ratée et une île inconnue sur laquelle personne ne voudra aller) n'en finit pas d'enchaîner les temps morts, au creux d'aléas dont on ne saurait trop décrire la nature : intentionnels, ou résultats de manœuvres plus ou moins involontaires lors du tournage ? À l'image de la première partie dans laquelle Pierre Richard cherche une fille portant un prénom particulier pour attiser la jalousie de sa femme, et se retrouve dans le lit d'une inconnue au cours d'une scène qui s'étire de manière inexpliquée. Un bordel incroyable, à tel point qu'on ne saura jamais vraiment où le film veut aller. C'est l'instabilité totale sur cette embarcation hasardeuse qui porte le récit d'une comédie d'aventures totalement floue et incertaine. Des personnages principaux vont même jusqu'à disparaître du champ sans crier gare, à l'instar de Maurice Risch aha Gros Nono resté à Paris et remplacé in extremis par son frère Jacques Villeret aka Petit Nono, alors comédien débutant — et dont l'impassibilité met souvent mal à l'aise —, ou encore Pierre Richard himself, dans un rôle sans équivalent dans sa filmographie, sous les traits de Jean-Arthur Bonaventure (pour la rime) qui se perd à la fin du film à la nage, avant qu'on ne le retrouve dans une prison.

Une chose est sûre, ce style est assez unique en son genre, qu'il soit constitutif ou pas du cinéma de Rozier. Une loufoquerie permanente, sans jamais qu'on sache si cette sensation est le résultat d'une mise en scène ou des conditions de tournage autour de la Guadeloupe. Si les organisateurs souhaitaient dans le film faire souffler le vent de l'aventure et se délecter de l'imprévu avec les clients, rien ne se passera comme prévu, et il serait tentant d'y voir là une sorte de mise en abyme du tournage du film lui-même, avec ses longueurs et ses sursauts de rythme,. Tout cela transpire l'improvisation, l'incertitude, mais aussi la liberté.

richard.jpg, janv. 2020
villeret.jpeg, janv. 2020