C'est probablement le film de Kon Ichikawa dans lequel les vannes du mélodrame sont le plus grandement ouvertes, loin devant l'histoire d'un acteur de kabuki dans La Vengeance d'un acteur ou celle de la tyrannie d'une famille à travers les décennies développée dans Le Fils de famille. Mais sous le torrent de drames existentiels qui affectent le protagoniste se dévoile le portrait d'une communauté, l'équivalent des Dalits en Inde : les burakumin. Un terme qui signifie littéralement "les gens du hameau", dont un synonyme dans la culture japonaise du début du XXe siècle était "souillure", désignant une minorité sociale discriminée et longtemps contrainte d'occuper des métiers considérés comme dégradants (notamment la mise à mort d'animaux). Des intouchables qu'il ne fallait sous aucun prétexte approcher.
Le mélodrame se noue dans une contrainte morale que le personnage principal devra porter en silence toute sa vie. Son père, un paysan, s'est battu jusqu'à son dernier souffle pour que Segawa, son fils, puisse vivre loin de lui et dans le secret de ses origines déshonorantes : il lui a fait jurer de ne jamais révéler son appartenance à la communauté des burakumin et vivre une vie paisible de professeur respecté. La première scène du film est sans appel : le patriarche se fait encorner à mort par un bœuf (séquence aussi incroyable qu’improbable), laissant Segawa avec sa promesse et son secret. Mais la confrontation aux actes racistes récurrents dans son entourage n'a de cesse de le malmener, avec pour point culminant l'assassinat sauvage de Inoko, un intellectuel défendant la cause burakumin qui était devenu son ami. Pris en étau entre le désir ardent de révolte contre l'injustice et le serment de silence fait à feu son père.
Raizō Ichikawa est excellent dans le rôle principal (dans la lignée de sa prestation dans Le Pavillon d'or, un acteur fidèle à Kon Ichikawa par ailleurs), à une époque où il était sans doute l'acteur le plus célébre au Japon. La photographie a ses passages d'une beauté sidérante, comme la séquence de l'assassinat de Inoko dans la neige. Il n'y a que le poids des dialogues extrêmement denses pour alourdir l'atmosphère, en nous faisant passer par des tunnels un peu difficiles à digérer, et qui se teintent parfois d'une dimension morale un peu exagérée — c'est là que le pathos entre en scène, pour bien appuyer sur la tragédie de la cause burakumin. Le final concentre d'ailleurs une dose de larmoyant assez inhabituelle chez Ichikawa. Mais cela n'entame pas totalement la beauté du dilemme qui consume le héros, désireux de révéler sa véritable identité et son origine longtemps tues, mais mettant en péril l'héritage de son père, travail de toute une vie.
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Ah ! Merci pour le rappel de la ref, j'avais bien aimé cette chronique ! :)
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Une idée de lecture. Au détour d’une chronique de Laélia Veron sur le procès…
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Roh salauds de photos-monteurs..!
29/10/2024, 12:32
Quel chineur de compétition ! Et je crois que ce n'est pas encore l'originale :…
29/10/2024, 11:55