quatre_fils.jpg, févr. 2023
"I guess those fellows have mothers too."

En fait, le recours au mélodrame chez John Ford trouve tout son sens, à mes yeux, dans le cinéma muet. Ses codes tout en exagérations diverses s'accordent bien mieux que le parlant à ces prédispositions au larmoyant et de manière plus globale aux excès en tous genres il me semble. Même en matière de western, Trois sublimes canailles est un très bon film quand bien même il serait très éloigné de tout son style futur qui a participé à construire sa renommée.

Étonnant de trouver Ford du côté bavarois dix ans seulement après la fin de la Première Guerre mondiale, avec un récit de drame familial mêlé aux contraintes en temps de guerre. On retrouve beaucoup de caricatures propres au cinéaste américain en ce qui concerne les gentils (la mère bienveillante en toutes circonstances, les enfants déterminés et entreprenants, le postier bedonnant et un peu gauche) et les méchants (l'officier allemand notamment, avec tout ce qu'on peut imaginer comme aigreur et comme méchanceté), qui s'inscrivent plutôt normalement et sans accroc majeur dans l'écrin du muet. Four Sons est un film aussi frontalement que subtilement antimilitariste, ou du moins un film qui prend le soin de montrer que des conflits meurtriers pareils occasionnent des peines de tous les côtés des frontières. En choisissant une famille et ses quatre fils dont 3 se battent du côté allemand et un du côté américain après y avoir émigré, le dilemme est posé très facilement, de manière intelligible et en un sens évidente.

Étonnant aussi de trouver des influences chez Ford du cinéma allemand, nommément celui de Murnau, dont l'influence très légèrement expressionniste se ressent de temps à autres — des décors de L'Aurore ont été réutilisés ici. On retrouve une description truculente de conditions de vie idylliques qui n'appellent qu'à être malmenées, pour déboucher sur des drames qui peuvent faire penser, de manière anachronique, à ce qu'il produira dans Qu’elle était verte ma Vallée, surtout, et dans une moindre mesure Les Raisins de la colère. J'ai beaucoup aimé sa façon de signifier la mort, non pas à travers les tristes lettres amenées à la mère par le postier maladroit, mais dans ce que cela suscite en termes de mélancolie, par les souvenirs en surimpression lorsque la mère est seule à table (très belle scène) ou lorsque l'enfant émigré rencontre son frère mourant sur un champ de bataille (coïncidence ahurissante bien sûr, mais totalement acceptée dans ce cadre). Mamie perdue dans New York, en revanche, constitue une dernière partie un peu molle et à ce titre très superflue.

img1.png, févr. 2023 img2.png, févr. 2023 img3.png, févr. 2023 img4.png, févr. 2023