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Une soirée avec le diable

N'ayant pas pu rédiger ma notule à l'issue du visionnage et n'ayant pas trouvé le temps pour le faire durant les 24 heures qui ont suivi, j'ai passé la journée avec des images de Benoit Magimel hagard, errant de bars en bords de mer à Tahiti, essayant vainement d'assurer ses fonctions de Haut-Commissaire de la République (un équivalent local de préfet). Les couleurs rougeoyantes et violacées très caractéristiques de la photographie du film ont renforcé en l'espace de ces heures la dimension très surréaliste du voyage de près de trois heures. Sensations très étranges pour un plaisir qui l'est tout autant.

C'est très surprenant, et totalement invraisemblable en ce qui me concerne, mais j'ai pour la première fois peut-être apprécié l'interprétation de Magimel, parfait dans son rôle d'officiel pas à sa place sur l'île de Polynésie française, passant d'une réception administrative à des boîtes underground en proférant des discours variant entre différents niveaux d'abscons, en essayant de prendre la température au sein de mouvements contestataires face à l'hypothèse de nouveaux essais nucléaires. À l'origine, des rumeurs de présence d'un sous-marin français dans les parages, que Magimel traque de temps en temps avec ses jumelles et sa lampe-torche.

Une chose est certaine, le cinéma d'Albert Serra ne ressemble pas à grand-chose d'autre de connu — sans que ce soit nécessairement un gage de qualité, j'ai été très perturbé par le film, beaucoup plus que La Mort de Louis XIV qui pourtant était déjà une sacrée expérience.

L'impression d'avoir assisté à un spectacle mis en scène par Weerasethakul, présentant des phénomènes qui nous dépassent, mais avec un degré de loufoquerie supérieur grâce à Magimel, un représentant de l'état qui fait semblant de tout contrôler dans son costume blanc alors qu'il ne pige rien du tout à la situation dans un environnement inhospitalier. La présence de Pahoa Mahagafanau participe aussi à une ambiance différente, avec une menace sourde un peu intangible. Le décor paradisiaque associé à une ambiance délétère sur fond de relations de pouvoir bizarres héritées de la colonisation produit un rendu hors du commun. Le personnage principal oscille entre des élans de sincérité et un opportunisme outrancier, tantôt assuré, tantôt fumeux, et participe à ce titre à un récit opaque (mais parfois très clair, voire même un peu trop, cf. le "La politique c’est comme une discothèque : une soirée avec le Diable"). Drôle de film.

img1.jpg, janv. 2023