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Voltige, poison et gros canon

On n'aborde pas l'immersion dans des aventures rocambolesques (pour l'époque) de près de huit heures issues du début du siècle dernier comme beaucoup d'autres films, il faut le reconnaître. Pourtant, chose très étonnante, les 10 épisodes qui constituent Les Vampires défilent avec une fluidité notable, quand bien même on noterait une hétérogénéité évidente en matière de qualité et de dynamique. Les sentiments sont très contrastés au cours de ce long visionnage, et en ce qui me concerne ils ont été largement dominés par un plaisir constant devant ces innombrables péripéties produites au milieu des années 1910. L'expérience étant très singulière et le format muet courant sur de longues heures, on peut affirmer sans trop prendre de risques que tout le monde n'y trouvera pas son compte...

Il y a vraiment de tout dans ce sérial, comme peuvent le laisser présager les titres de certains épisodes : "La Tête coupée", "La Bague qui tue", "Le Cryptogramme rouge", "L'Homme des poisons" ou encore "Les Noces sanglantes". Les agissements d'une société secrète connue sous le nom des vampires éponymes constituent un prétexte à l'exploration de Paris dans les années 1910, à mesure que les meurtres et les enlèvements se multiplient aux quatre coins de la ville qu'on parcourt à pied, à vélo ou en voiture (et plutôt deux fois qu'une, à partir d'un moment ces déplacements deviennent presque des running gags, malheureusement un peu lourds car trop longs). La police est à l'ouest et c'est essentiellement l'enquête menée par le journaliste Guérande qui fait tout le sel de l'histoire, aidé en cela par un ex-vampire prénommé Mazamette — lui aussi plutôt lourd dans la multiplicité de ses clins d'œil caméra pour indiquer au spectateur que bon, on la lui fait pas à lui, hein.

L'occasion de se plonger aussi dans une esthétique qui nourrit un onirisme poétique parfois totalement délirant, avec tout un pan que l'on pourrait relier à l'expressionnisme allemand de Lang (au travers de ses films faisant intervenir le personnage machiavélique du Docteur Mabuse notamment) et d'autres aspects sidérants soit par leur violence, avec des mises à mort brutales, soit par leur ampleur, à l'instar de la grande fête bourgeoise bouleversée par les vampires qui asphyxient tout le monde pour détrousser tout ce beau monde — magnifique plan où deux portes s'ouvrent dans l'arrière-plan une fois que tous ont perdu connaissance, pour laisser passer des silhouettes inquiétantes. L'intervention finale de la police, digne d'un assaut du GIGN, est assez marquante également : pas de quartier, la violence est sèche et préméditée.

Bon, il ne faut pas être regardant sur la cohérence de l'intrigue, tant le scénario est perforé de toutes parts au gré des comportements improbables d'à peu près toutes les parties prenantes. Le charme de Musidora en collants noirs moulants est assez discutable dans la peau d'Irma Vep, beaucoup de séquences dialoguées (oui oui, on est pourtant dans un muet) traînent de manière démesurée, mais il y a énormément de panache dans Les Vampires, beaucoup de bizarreries d'un autre temps comme issues d'un autre monde (Satanas qui détruit des bâtiments et des bateaux avec son canon perso qu'il actionne de temps en temps par sa fenêtre, je n'en suis toujours pas revenu), beaucoup de séquences acrobatiques avec des voltigeurs en tous genres pour animer des évasions, des assassinats et autres coups de théâtre... Une curiosité historique passionnante pour peu qu'on ait la faiblesse d'y être sensible, qu'on ne soit pas rebuté par des questions formelles et qu'on ose s'y aventurer.

img1.jpg, mai 2023 img2.jpg, mai 2023 img3.jpg, mai 2023 img4.jpg, mai 2023 img5.jpg, mai 2023 img6.jpg, mai 2023 img7.jpg, mai 2023 img8.jpg, mai 2023