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Deux chiens et un skate-park

Je trouve ça assez fou comment les réalisateurs chiliens Iván Osnovikoff et Bettina Perut sont parvenus à rendre captivante (durant un certain temps au moins) la vie de deux chiens errants qui ont élu domicile dans un skate-park de Santiago — dont le nom, Los Reyes, pourrait très bien faire références aux animaux tant ils semblent régner sur les environs par l'entremise de la mise en scène. Ce qui transparaît d'emblée, c'est le temps passé sur les lieux (deux années a priori) qui se ressent dans la continuité au fil du temps et du montage, pour illustrer différents aspects de leur quotidien canin. J'aime aussi beaucoup l'idée que le sujet se soit imposé à eux alors qu'à la base, ils voulaient faire un documentaire sur les skateurs du coin — ils ont trouvé un autre sujet au hasard de leurs captations sur place, même si quelques conversations entre humains ont été conservées dans la bande sonore d'un film essentiellement dépourvu de dialogues.

Car ce n'est que ça, Los Reyes : deux chiens qui errent dans un parc. Rien de plus. Et pourtant, après avoir vu le film, impossible de ne pas se sentir proche de Chola et Fútbol tant le docu a su en tirer deux portraits extrêmement poussés. Chacun est doté de sa personnalité propre, avec pour trait principal le vieux chien dont l'aboiement semble usé jusqu'à la corde et qui passe son temps à trimballer divers objets (bouteilles et cailloux notamment, la diversité des trucs dans sa gueule est un motif comique récurrent), et la chienne plus jeune qui joue souvent avec une balle ou un ballon sur le rebord du skate-park et qui donne l’impression de faire la loi en pourchassant (gentiment) les vélos, les chevaux, les ânes, etc. On parle bien de deux chiens, et les portraits sont d'une tendresse incroyable et d'un humour génial. La complicité entre les deux est souvent esquissée, partagée entre leur errance profonde et les quelques jeux qu'ils partagent, avec quelques notes surréalistes comme lors du festival qui les a expulsés un temps en marge de leur terrain favori. Autant dire que quand Chola se retrouve toute seule à la fin, c'est un véritable crève-cœur.

Quelques passages brefs montrent les conditions délicates de vie pour les animaux, entre chaleur extrême, pluies récurrentes (ils ont des niches de fortune quand même), et la nuée d'insectes qui maltraitent Fútbol — surtout sur la fin... Parfois des parallèles sont tentés entre les ados, qui ont pour certains déserté le domicile familial, et les chiens. Mais le plus appréciable et de loin, c'est la proximité que les réalisateurs ont réussi à construire avec les chiens, leur permettant à terme de réaliser une quantité de séquences impressionnante, que ce soit en gros plans (les truffes, les yeux, les coussinets qui ressemblent à des formations géologiques, ou ce plan génial d'une mouche piquant la patte et laissant s'échapper une goutte de sang) ou en plans plus larges (de très beaux cadres pour donner une idée de l'ambiance urbaine), de jour comme de nuit.

Les limitations du film restent assez visibles et refont surface à la fin : il y aura eu beaucoup de remplissage, que ce soit par des plans "esthétiques" (gros plans), des essais divers (caméra sur un skate) ou encore des dialogues pas follement pénétrants. Sans surprise, le film est dédié à Fútbol, et le fait qu'il s'agisse d'un animal parmi d'innombrables autres, qu'un regard attentif et patient a su nous rendre aussi attachant au fil de son vieillissement, est quand même drôle et émouvant.

img1.jpg, oct. 2023 img2.jpg, oct. 2023 img3.jpg, oct. 2023