justice_est_faite.jpg, oct. 2023
Le doute, le biais, la partialité

La thématique centrale de Justice est faite, avec le jugement d'une femme interprétée par Claude Nollier, ressemble fortement à celle de La Vérité avec Brigitte Bardot que Clouzot réalisera une décennie plus tard en 1960. C'est le récit d'un procès de la cour d'assises dans lequel les faits ne constituent pas l'unique objet des débats, et où l'ensemble du personnel compétent porte de manière directe ou indirecte une série de jugements moraux sur la personne de l'accusée. Mais André Cayatte adopte une perspective bien différente puisque ce qui l'intéresse avant tout, ce sont les membres du jury qui doit se prononcer sur le cas de cette femme qui aurait aidé son amant à mourir, ce dernier étant déjà mourant et ayant demandé l'euthanasie.

La quasi-totalité du film se déroule ainsi aux côtés des 7 jurés (évoquant d'ailleurs de loin un autre film avant l'heure, le Douze Hommes en colère de Lumet), en ne nous dissimulant rien de leur comportement, de leurs habitudes de leurs secrets. L'objet du film est assez limpide, surtout lorsque vient le moment du discours final délivré en voix off, qui accessoirement témoigne des faiblesses d'écriture de cette fiction prisonnière d'un style marqué par les années 50 : évoquer et dénoncer le caractère faillible d'une décision de justice, nécessairement basée sur des points de vue partiels, biaisés, influencés par une myriade d'événements personnels. Cayatte décortique longuement les mécanismes de prise de décision au sein du jury, en montrant l'influence de leur vie sur leur comportement en tant que juré. Même si les faits ne sont pas tout à fait évidents pour eux (a-t-elle tué son mari sur sa demande pour le soulager de souffrances insupportables, ou bien était-ce un crime mu par des intérêts personnels puisque, on l'apprendra plus tard, elle était amoureuse d'un autre homme ? le doute persistera), les débats se situeront essentiellement sur le terrain de la morale, des préjugés et des conceptions subjectives de culpabilité.

Cayatte expose le système judiciaire sous l'angle vulnérable de ses imperfections et réquisitionne de nombreux acteurs et actrices de second plan pour donner corps aux jurés, qui illustrent souvent un aspect de cette fragilité : parmi eux, Noël Roquevert en ancien commandant très conservateur et Raymond Bussières sous la pression du regard de sa femme. Bref, des personnages plus ou moins influençables. Quelques zones de rigidité scénaristiques empêchent le film de se faire aussi émouvant que La Vérité (en partie aussi parce que l'accusée n'est pas vraiment le sujet du film), à l'instar de cette presque ultime scène montrant trop explicitement l'hésitation d'un juré qui aurait changé d'avis sur l'affaire s'il avait été au courant quelques heures avant d'une information très personnelle — le questionnement est même explicité par les dialogues, excès caractérisé de pédagogique et de démonstratif. Le poids de la religion, du racisme, et du patriotisme est également un peu alourdi par les stéréotypes employés. Mais Justice est faite, par son regard sur l'acte de juger et sur la fragilité des convictions, conserve une très belle modernité car il suffirait de remplacer quelques détails techniques, quelques éléments contextuels et quelques sujets de débat pour en faire un film parfaitement actuel.

img1.png, oct. 2023 img2.png, oct. 2023 img3.png, oct. 2023 img4.png, oct. 2023