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Soumission d'un contremaître

Film très surprenant de l'italien Alberto Lattuada (à la filmographie très bigarrée) de ceux qui laissent dans une incertitude constante quant aux thèmes, aux tons, aux desseins. La présence d'Alberto Sordi dans le rôle principal n'est pas étrangère à ces singularités et à la réussite de Mafioso, lui qui parvient à passer de l'homme vaguement pleutre et niais au bandit en puissance froid et précis, simplement en modifiant une légère expression faciale, lors d'une fête de village. À la faveur d'un voyage familial, entouré de sa femme et de ses filles, il quitte Milan et l'usine dans laquelle il œuvre en contremaître docile pour prendre des vacances en Sicile et provoquer la rencontre entre famille et belle-famille.

Dans un premier temps donc, c'est le cadre étrange de l'usine qui sert de décor initial, avec les machines bruyantes, les ouvriers que Sordi encadre étroitement du haut de sa petite autorité, la déférence excessive qu'il témoigne à son supérieur. Puis vient le temps du voyage, entre le stress du départ et la joie du changement à bord du train et du bateau. Dans ce premier quart, on ne sait absolument pas sur quel pied danser, tandis que se profile à l'horizon des conflits entre sa femme et la belle-famille qui ne l'apprécie pas comme prévu, elle, cette femme sophistiquée, blonde et hautaine du nord. C'est sûr, quand on offre des gants à un manchot (dont on ignorait le handicap), on ne se place pas dans les meilleures conditions.

Mais peu à peu le climat se détend, les relations se posent, l'abnégation heureuse du personnage principal Antonio Badalamenti porte ses fruits. Très bon point : sa femme prodigue quelques soins d'esthéticienne à sa belle-sœur, en rapport avec une pilosité excessive, et le tour est joué, elle est acceptée. Dans le même temps, Antonio est contacté par les parrains de la mafia locale, à mesure qu'on apprend que sa situation milanaise confortable fut le résultat de quelques faveurs. Le ciel se voile doucement, mais sûrement : il va devoir rendre la pareille, le genre de proposition qu'il est impossible de refuser. Et le film s'embarque à ce moment-là dans une situation franchement improbable, magnifiquement mise en scène (cette séquence du voyage clandestin dans le noir de la soute d'un avion), dans laquelle il doit endosser les habits de l'assassin en détachement à New York.

La tension décuplée à ce moment-là tient au fait qu'il agit à l'insu de sa famille et que Alberto Lattuada a pris le soin de laisser sous-entendre de nombreux points de pression contre le protagoniste qui agit avec un couteau sous la gorge. Sordi, le contremaître sévère et consciencieux, devient le dindon de la farce à qui on impose une sombre besogne et incarne avec ténacité l'inconfort absolu. Sur le chemin de la tragi-comédie familiale, le film s'embarque sans sommation sur un sentier beaucoup plus périlleux à la lisière du comique et de l'horrifique, sans aucun accroc. Son zèle joue en sa totale défaveur, ses yeux implorant la clémence auprès du parrain n'y feront rien. À cette occasion, une représentation de la mafia vraiment avant-gardiste, presque insolite, l'ombre menaçante qui plane sur le village. La séquence finale, miroir de la première, point de chute de son rejet et théâtre d'un énième revirement, ne placera pas du tout le contremaître dans la position dominante du début.

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