minding_the_gap.jpg, mai 2022
This machine cures heartache

Bing Liu a mis à profit sa caméra pendant 12 ans pour suivre l'évolution de deux de ses amis skateurs, depuis la fin de l'adolescence jusqu'au début de l'âge adulte, et le résultat est ce "Minding the Gap". Un témoignage particulièrement émouvant, et vraiment surprenant dans la diversité des thèmes qu'il aborde, loin de ce que peuvent laisser suggérer les premiers temps du documentaire. Dans une première partie, c'est avant tout l'histoire de trois potes qui font du skate dans leur ville natale, Rockford, dans l'Illinois, en pleine Rust Belt. Ils sont particulièrement doués, ça on ne le leur enlèvera pas, et l'un deux, Keire, finira carrément skateur professionnel et sponsorisé. Mais peu à peu, le film aborde quelque chose de tout à fait différent, à mesure que ces ados mûrissent et découvrent la complexité d'autres mondes : le boulot, le fait d'être parent, et la résurgence de traumatismes passés.

Tout va pour le mieux pour les trois amis jusqu'à ce qu'on commence à sentir que quelque chose cloche dans le couple formé par Zack et sa copine Nina. C'est clairement le début des emmerdes et de tout un sous-texte dramatique qui enflera jusqu'à la fin du docu. On embarque soudainement dans une dimension insoupçonnée, la maltraitance, avec des témoignages sur des femmes battues d'une part et sur des enfants violentés d'autre part. Au milieu de tout ça, le skate. Dans un premier temps, on voyait bien cette activité comme un moyen de s'échapper du carcan familial oppressant, dans cette banlieue américaine morose loin des cartes postales et de l'American Dream. On voit écrit sur le skate de Keire un "this machine cures heartache" très évocateur. On ressent parfaitement l'importance de l'appartenance à un groupe social, avec la création d'une communauté et tout ce qui l'entoure. Mais une fois franchie la barrière de l'âge adulte, le motif de l'évasion change du tout au tout.

Et c'est là que "Minding the Gap" touche incroyablement juste, quand il expose une relation amicale vieille de plus d'une dizaine d'années, celle de Bing avec Zack et Keire, à des questionnements sur les violences commises par l'un d'entre eux, ou encore sur les traumatismes refoulés liés à de la maltraitance infantile. Peu à peu, l'univers idéalisé des adolescents, avec tous leurs rêves de skatepark indoor, s'effondrent brutalement. On entre dans le dur de la vie adulte, avec les boulots alimentaires à la con, les disputes de couple qui se terminent par un divorce et le versement d'une pension alimentaire, et des confrontations avec les parents particulièrement délicates. Progressivement le poids du passif familial se dévoile sur ces trois existences, et même si certaines séquences comportent une dose de violon trop indigeste, il est bien difficile de ne pas être ému par ces relations d'amitié contrariées et ces existences malmenées.

img1.jpg, mai 2022 img2.jpg, mai 2022 img3.jpg, mai 2022