nickelodeon.jpg, oct. 2020
"Any jerk can direct."

Peter Bogdanovich est un cinéaste étonnant du Nouvel Hollywood, s'inscrivant dans ce mouvement de manière singulière et bien différente de la norme — presque en opposition. Sa conception de la contestation passe par un grand sens de la perte, par une matérialisation de la fin de l'innocence que l'on retrouvera constamment dans ses films, de La Barbe à papa à La Dernière Séance en passant par Jack le magnifique. Un regard vers le passé empreint d'une mélancolie toujours questionnante, qui se retrouve dans cette évocation de l'ancêtre du cinéma, le Nickelodeon (un type de petite salle de cinéma de quartier à laquelle on accédait en glissant une pièce dans un tourniquet), et des prémices de la production cinématographique dans les années 1910. Une période enfiévrée qui voyait les pionniers du cinéma expérimenter tous azimuts afin de contourner les nombreuses difficultés techniques de cet art balbutiant, à une époque où les studios monopolistiques mettaient des bâtons dans les roues des concurrents en créant brevet sur brevet. Et quand ce n'était pas suffisant, en recourant à l'intimidation et à la violence, voire à la destruction de matériel, comme tente de le faire le personnage de Burt Reynolds au début du film — avant d'être recruté par Ryan O'Neal sur le tournage. Comme dans La Barbe à papa, sa fille Tatum O'Neal occupe un rôle d'importance.

Nickelodeon a en ce sens une légère fonction historique, en recréant de manière bien sûr très artificielle l'émulation et l'effervescence de l'époque, et en égrainant une série d'anecdotes (à l'image de celle concernant la puanteur dans les premières salles de Nickelodeon) semées tout au long du film qui le colorent d'une teinte comique plutôt délicate. La trajectoire du protagoniste Leo Harrigan est en soi une comédie, avocat puis écrivain puis réalisateur presque malgré lui, au même titre que la relation qu'il entretien avec les vedettes (masculine et féminine) de son film. Les jeux de mots sont omniprésents et fonctionnent globalement très bien, à une époque où "picture" (un film) se confond avec "pitcher" (une carafe)... Bogdanovich se perd en revanche très régulièrement dans un sens du burlesque un peu abscons, avec des séquences bouffonnes qui parfois durent un peu trop longtemps. Ils ont dû beaucoup s'amuser sur le tournage, à repenser les cascades et à reproduire les conditions de travail : dommage que cela ne transparaisse pas toujours à l'écran, seules quelques loufoqueries fonctionnent bien.

L'époque, le début du XXe siècle, transparaît également à travers de nombreux détails qui charpentent l'atmosphère, des petits bouts d'histoires vraies que Bogdanovich a obtenu auprès de Raoul Walsh et Allan Dwan — le réalisateur de The Good Bad Man et The Half-Breed, film mentionné dans le film. Bogdanovich semble extrêmement désireux de rendre hommage à une ère révolue du cinéma, un peu comme The Last Picture Show pouvait faire penser à John Ford, sous certains aspects, ce qui le place dès le principe en opposition avec de nombreux jalons du Nouvel Hollywood. John Ford est d'ailleurs présent ici aussi, à travers l'anecdote du réalisateur à qui on reproche d'être en retard de 5 pages sur le script, et qui s'exclamera, après en avoir arraché 5 pages, "Now we're on schedule again". De même, lorsque les protagonistes sortent du cinéma dépités, pensant que le film qu'il venait de voir (Naissance d'une Nation de Griffith, alors encore diffusé sous le nom de "The Clansman") était tellement bien que jamais un autre film ne pourra l'égaler, difficile de ne pas voir le réalisateur s'exprimer à travers son personnage.

acteurs.jpg, oct. 2020