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"A proper court is concerned with law. It's a bit amateur to plead for justice."

King & Country prend pour contexte le front belge lors de la Première Guerre mondiale, dans la région des Flandres alors administrée par l'armée anglaise, et s'intéresse aux dernières 24 heures d'un jeune soldat britannique accusé de désertion. Le film pourrait se résumer à ça : des soldats qui pataugent la boue, quelques passages dans une prison militaire coincée entre deux tranchées, et un simili tribunal militaire très rudimentaire composé en tout et pour tout d'une table, de quelques chaises et de quelques gradés de l'armée, une cour martiale qui va devoir statuer sur ce fait de désertion et qui se soldera par une condamnation à mort si ce dernier est avéré.

Joseph Losey offre un point de vue britannique sur la peine capitale prévue par la loi militaire en temps de guerre qui s'établit assez naturellement comme une vision complémentaire à celle de Stanley Kubrick dans Les Sentiers de la gloire (sorti en 1957), avec dans le rôle d'avocat de la défense un militaire dans chacun des deux cas, Kirk Douglas chez Kubrick et Dirk Bogarde chez Losey. Mais ce rapprochement ne fut pas forcément évident à l'époque puisque bien que sorti 7 années auparavant, le film de Kubrick subit une censure (voire une autocensure, les producteurs n'ayant pas demandé de visa d'exploitation au ministre chargé du cinéma français, et ce même si les autorités françaises exercèrent une pression sur d'autres pays européens) en France et ne sortira que dans les années 1970.

C'est donc à une dénonciation d'une horreur de guerre un peu taboue que Losey prend part, en s'attaquant à l'exécution de soldats par leur propre armée tout autant qu'à une justice rendue par la même machine qui juge et qui broie les individus. On ressent un certain didactisme dans Pour l'exemple qui se manifeste par un excès de dialogues démonstratifs s'assurant que tout est bien explicité, au cas où le message ne serait pas clair — de fait, il l'est. Mais si le film s'en sort avec les honneurs, au-delà de son ambiance glauque propre aux tranchées filmées de manière très aride, c'est notamment grâce à la relation qui se noue entre le soldat déserteur Hamp et son défenseur le capitaine Hargreaves, respectivement interprétés par Tom Courtenay (le révolté dans La Solitude du coureur de fond de Tony Richardson) et Dirk Bogarde (que Losey retrouve ici l'année suivant la sortie de The Servant).

Un film cruel et un peu raide qui montre deux échecs lors d'un procès sommaire, un homme perdant sa défense et un autre perdant sa vie. On ne connaîtra jamais vraiment les raisons qui ont conduit le jeune soldat à tenter de déserter, même si le faisceau d'indices est large : l'épuisement lié à un conflit qui s'éternise, les conditions abominables qui contraignent les petites recrues à côtoyer les rats et les cadavres, ou plus prosaïquement la boucherie qui a décimé son régiment, déchiqueté par les bombes, dont il est l'unique survivant. Losey a la main lourde à plusieurs reprises, que ce soit au travers d'un symbolisme parfois appuyé ou de quelques mises en scène scolaires (les soldats qui jouent avec un rat et recréent un tribunal de pacotille), mais la confrontation de cet engagé volontaire à la froideur d'une cour martiale reste une réussite. Une victime de plus au creux de la pourriture, de l'absurdité, et de l'ennui envahissant.

img1.png, nov. 2023 img2.png, nov. 2023 img3.png, nov. 2023