prospect.jpg, oct. 2019
Laconisme et curiosité

Dans la lignée des films comme I Am Mother, ce Prospect confirme que de toutes petites productions (on imagine en tous cas un budget pas franchement pharaonique) peuvent très bien rivaliser avec les porte-étendards de l'industrie, armés de leurs centaines de millions de dollars de budget et repus de leurs milliards de dollars de recettes. La rivalité se manifeste sur le terrain de l'intention, sans doute pas sur celui de l'ambition, mais le résultat du travail de Zeek Earl et Christopher Caldwell (qui adaptent au format long un de leur court-métrage sorti en 2013) est particulièrement éloquent : l'immersion dans l'univers SF et dans l'atmosphère de cette lune verte est ici incroyablement réussie. Les éléments singuliers se marient très agréablement avec d'autres notes beaucoup plus familières.

Cette sensation d'équilibre ne tient pourtant à pas grand-chose : des costumes et des accessoires simples mais bien pensés, des mises en situation qui ne prémâchent pas tout le boulot, des péripéties qui ne s'accompagnent pas de scènes introspectives longuement explicatives ou de glaçage écœurant au pathos... L'impression que l'absence de défauts majeurs est en train de devenir une qualité à part entière gagne peu à peu du terrain, tout particulièrement dans le registre de la science-fiction qui peut dorénavant virer au gavage d'effets spéciaux bourratifs sans effort. Dans Prospect, on est tout de suite projeté dans l'univers de la diégèse, sans être pris par la main, avec toutefois la possibilité de se familiariser en douceur avec les contraintes, les lieux et la terminologie. On sent bien que le film ne peut pas se permettre de grands écarts flamboyants, mais ce à quoi il se cantonne, il le fait bien : je pense notamment à la minutie avec laquelle est décrite l’extraction des "pods" afin d'accéder au précieux minerai, avec tout un tas de petits outils et de liquides exotiques manipulés avec grand soin. Il y aurait pu y avoir beaucoup plus de détails et de textures dégueulasses, mais le côté brut de l'extraction (tant sur le plan esthétique que dans le procédé technique) conserve un certain charme.

Mais ce ce qui est le plus appréciable, et de loin à mes yeux, c'est le soin apporté à la confection de l'ambiance qui règne à l'intérieur de cette jungle SF luxuriante, à la fois chaleureuse et vénéneuse, ces couleurs chaudes envahies par des petites particules évanescentes qui flottent dans les airs, cette lumière et ces teintes si singulières... Le dépaysement et l'immersion par les sensations sont quasiment immédiats, alors que nombre de blockbusters génériques du genre ne sont jamais parvenus à un tel résultat — chez moi. C'est très réussi, et dans ces conditions, je suis dans les bonnes dispositions pour accepter facilement la trame minimaliste de ce pseudo-western à la lisière du survival, saupoudré d'aventure. D'autant que les scénaristes ne se sont pas appesantis sur la quête familiale, sur le sens du sacrifice, sur la douleur de la désunion, etc. Tout cela est laissé à notre libre appréciation, tout comme de nombreuses choses (parfois essentielles) sont volontairement (ou sous la contrainte du budget) laissées floues. Le laconisme comme générateur de curiosité. Avec un peu plus d'envergure et d'ambition, en repoussant à peine les limites du scénario qui peut par moments apparaître un peu étriqué, on avait là un excellent film de SF. En l'état, Prospect est un très bon petit film de SF dont la simplicité, la sobriété et l'application constituent une grande partie de son charme.

jungle.jpg, oct. 2019