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"If a man gives you freedom, it is not freedom. Freedom is something you take for yourself."

La lucidité et la pertinence du regard de Gillo Pontecorvo sur les rapports de domination coloniale et néo-coloniale sont incroyables. Si la violence physique et explicite jalonne le film à travers diverses révoltes et répressions, la description des relations qui est faite à travers cette histoire atemporelle d'un colonialisme idéologique (ancré dans le passé) basculant dans le néo-colonialisme économique (tristement d'actualité) est d'une violence morale sidérante. En se basant sur l'histoire fictive d'une île tout autant fictive des Antilles en quête d'émancipation, l'atemporalité de Queimada renforce son propos et sa dimension universelle. Seul bémol, un budget plus conséquent et une post-production plus soignée (notamment en termes de synchronisation sonore et de montage) auraient sans doute contribué à faciliter l'immersion et la transmission du message.

Pontecorvo propose à travers cette fiction (pas totalement détachée de l'Histoire des empires coloniaux) une illustration radicale des logiques et des dynamiques de domination. Queimada n'est à ce titre qu'une succession de rapports de force et de confrontations que le personnage interprété par Marlon Brando, un agent (hautement économique) anglais missionné par son pays, cherchera à orienter en la faveur de son employeur. Dans un premier temps, il contribuera à fomenter une révolte de la population noire contre l'occupant portugais afin de rompre le monopole commercial sur la canne à sucre dont il bénéficiait. Il laisse sciemment les apprentis révolutionnaires croire qu'ils mènent leur propre révolution, alors qu'il s'agit d'une manœuvre dont la conscience du basculement en cours rappelle celle des aristocrates dépeints par Visconti dans Le Guépard (même si les manipulations à l'œuvre diffèrent sensiblement). Dix ans plus tard, les intérêts économiques de l'empire colonial britannique sont à nouveau menacés par le désir d'émancipation grandissant de l'île Queimada : une émancipation "utile" hier pour briser l'ennemi mais jugée dangereuse aujourd'hui. L'heure d'une nouvelle révolution a sonné.

On le voit bien tout au long du film, les révoltes / révolutions ne sont pas menées par la base et ses idéaux, même si la sincérité des acteurs à ce niveau n'est jamais remise en question : elles sont avant tout manipulées par ceux qui tiennent les rênes au niveau supérieur et qui en canalisent la puissance dans la direction qu'ils désirent, en s'emparant des intérêts stratégiques. Ils investissent dans des notions-clés cristallisant un conflit à un instant donné (l'esclavage, l'indépendance, l'économie du sucre) comme un spéculateur le ferait dans une valeur boursière critique. Marlon Brando incarne ainsi l'archétype de l'agent économique parfaitement rationnel, à la fois cynique et clairvoyant, opportuniste et dénué de morale, adoptant les valeurs révolutionnaires ou contre-révolutionnaires au gré des intérêts impérialistes qu'il représente. Il est à la fois catalyseur de la révolte et manipulateur du désir de ses sujets épris de liberté, dans le seul but d'éliminer la concurrence. Un propos dont l'universalité et l'atemporalité sont particulièrement frappantes.

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