ravioli_la_boite_a_reve.jpg, juin 2020
Boîtes de Pandore à l'huile d'olive

Ravioli, la boîte à rêves : avec un titre pareil, on s'attend à un documentaire (potentiellement militant) sur la fabrication des raviolis en boîte. Sauf que c'est le titre international de cette coproduction à dominance finlandaise, "Canned Dreams", qui en annonce le mieux le contenu : si on navigue à travers 8 pays aux 4 coins du monde pour remonter à la source des matières premières qui constituent les raviolis et leur emballage, ce n'est pas tant pour ramener des images d'une mine brésilienne ou d'un élevage porcin danois. Il y a bien comme toile de fond des champs, des poulaillers, des abattoirs (à réserver à un public averti, à ce titre, même si Katja Gauriloff prend le soin de ne pas verser dans la provocation gratuite du choc graphique des entrailles ensanglantées) et des industries diverses, mais ce qui est mis sur le devant de la scène, très étonnamment, ce sont ces "rêves en boîte", ces bouts d'existence glanés au détour des lieux de travail plus ou moins conventionnels. Des instantanés d'ouvriers avec leurs lubies, leurs peurs, leur passé, leurs obsessions, leurs aspirations, explorés en voix off tandis que défilent les images de leur activité professionnelle, dans un même mouvement. De quoi suggérer qu'il y a bien plus que de la viande, du blé, des œufs et de l'huile d'olive dans ces boîtes de conserve.

Point de départ : une mine de fer et d'aluminium au Brésil, dans laquelle travaille une femme. Elle nous raconte très brièvement sa situation de mère de 12 enfants et l'absolue nécessité pécuniaire, même dérisoire, de son travail. C'est le métal qu'elle récolte à ciel ouvert, aux côtés d'une pelle mécanique, qui servira à fabriquer les boîtes de conserve à destination entre autres du marché européen. Point d'arrivée : un supermarché finlandais avec les fameux raviolis en conserve, fabrication française à partir d'ingrédients en provenance du Danemark, du Portugal, de Roumanie, et de Pologne. Entre les deux, une certaine idée du rêve européen.

Des bouts de réalité extrêmement pragmatiques, souvent très durs (c'est d'ailleurs un reproche qu'on pourrait formuler à l'encontre de cette sélection opérée au montage), accompagnés de sons de circonstance, forment un tissu totalement fortuit, à la lisière du rêve éveillé. Comme un songe mélancolique sur l'humanité laborieuse. Derrière le résultat de chaînes industrielles, on trouve des singularités. Derrière les éleveurs, les agriculteurs, et la horde de travailleurs dont on pourrait retrouver la photo formatée sur l'emballage de tel ou tel produit, il y a des histoires fort déroutantes. Ce jeune éleveur légèrement handicapé qui est empli d'amour pour ses cochons mais qui rêve de trouver une petite amie, cette vieille ramasseuse de tomates qui espère tenir bon jusqu'à ce que sa fille atteigne l'université qu'elle-même n'a pas pu atteindre elle-même, et surtout cet ouvrier patibulaire d'un abattoir polonais, rongé par l'infidélité de sa femme, qui ne pense qu'à une chose : couper les couilles de l'amant. Et tel que c'est montré, aussi surprenant que ça puisse paraître, c'est fascinant.

portugal.png, juin 2020 cochons.png, juin 2020 usine.png, juin 2020 finlande.png, juin 2020