Le milieu des années 2010 est décidément ma période favorite chez Hong Sang-Soo, jusqu'à présent. Il a pris ses distances avec ses débuts à mon goût un peu artificiels, il n'a pas encore sombré dans le stakhanovisme industriel de ces dernières années qui se complaît dans de la répétition soporifique de thèmes rohmériens, et il joue avec quelques motifs techniques entrant en résonance avec le cœur de son récit. Le petit truc ici est tout bête : un homme japonais se rend à Séoul dans l'espoir d'y retrouver la femme qu'il aime (ce qui n'était pas réciproque, à une époque donnée tout du moins) et en attendant de la retrouver, il s'installe non loin de chez elle et passe son temps à lui écrire des lettres racontant les différentes rencontres qu'il y fait. Et le film, Hill of Freedom, du nom du café dans lequel il passe l'essentiel de son temps, raconte ces différents temps-recontres de manière désordonnée, dans l'ordre dans lequel la femme en question parcourt lesdites lettres non-datées qu'elle a malencontreusement tombées et mélangées.
C'est tout con, mais la légèreté qui en résulte produit une ambiance étonnamment apaisée, avec une simplicité de façade qui masque à peine une complexité des détails jamais chiante. Au début, on comprend que quelque chose de bizarre se trame, on saisit les soucis de non-linéarité du récit sans pouvoir précisément réaliser ce qui se passe. Et puis petit à petit le puzzle se forme, on voit la femme lire les lettres, et on voit l'homme faire des rencontres, avec des motifs entrant en écho avec d'autres, faisant le lien chronologique entre différentes vignettes perdues dans le temps. Évidemment, pour les moins assidus, le protagoniste aborde cette thématique centrale du temps en décrivant le livre qu'il est en train de lire à une femme rencontrée lors de son séjour, et avec laquelle il aura une relation (probablement, se dit-on pendant un moment). Un ouvrage intitulé "Le Temps" qui aborde la question de la construction intellectuelle de la chronologie temporelle, qui rejoint une série d'autres détails singuliers (comme le chien, qui s'appelle "rêve") contribuant à perdre le personnage dans une chronologie et une temporalité floues, bien au-delà du simple désordre des séquences qui défilent. À travers la perte de certaines lettres lues par la femme qu'il recherche, Hong appuie sur le fait que des éléments de l'histoire font défaut, dans un geste assez radical tournant la page de la rencontre passagère.
La capacité de l'histoire à produire de la fascination est très surprenante, car la première partie de ce film très court (à peine plus d'une heure) ne laisse augurer rien de captivant. Des situations anodines, des interprétations très pauvres, des répétitions multiples, et le tout englobé dans un anglais contraint renforçant la dimension surréaliste : peu à peu, le kaléidoscope de moments aléatoires finit par créer une illusion agréable, autour des aléas sentimentaux et des liens impromptus. Et peu importe notre volonté de mettre de l'ordre dans tous ces moments désordonnés, la référence temporelle, rationnelle, devient parfaitement superflue.
Dernières interactions
Oui, comme lorsqu'iil use d'un scénariste ou d'un roman de référence qu'il…
07/05/2025, 22:55
Tes impressions m’intéressent quand tu entreras dans la ville ! ;)
06/05/2025, 20:58
La nature humaine sublimée par claude berri et une pléiade d'acteurs de grand…
04/05/2025, 01:16
Et voilà, "quelques" mois plus tard, j'ai enfin vu ce célèbre Frost/Nixon. Très…
03/05/2025, 23:45
Je pense qu'il pourrait te plaire un minimum en effet (en tous cas un peu plus…
02/05/2025, 12:08
Merci pour cette critique, Gilles ! Ce bouquin remonte vers le sommet de ma…
02/05/2025, 11:23