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Émancipation de la classe des samouraïs

La situation initiale pourtant bien détaillée dès l'introduction de Le Héros sacrilège est un obstacle à la compréhension en soi, du moins lorsqu'on n'est pas Japonais et en pleine connaissance de son histoire médiévale. Il faut un certain temps pour bien s'imprégner de tous les détails, tous les antécédents, et tous les rapports de force qui constituent la toile de fond sur laquelle viendra s'écrire cette histoire en 1170, à une époque où le Japon était gouverné par deux empereurs — source de nombreux conflits. Un long préambule écrit résume la situation complexe du pays, au sein duquel le pouvoir est accaparé et maintenu par un groupe social hétérogène composé de nobles et de moines, qui chacun à sa façon désire entretenir des privilèges en exerçant des pressions de nature politique ou religieuse. Mizoguchi fait le choix de s'intéresser à une classe alors inférieure, celle des samouraïs, condamnés à constituer le bras armé du pouvoir tout en restant exclus des sphères décisionnelles et des zones de respect.

C'est dans ce cadre, maillé par un réseau complexe de liens de subordination, que le samouraï Tadamori et son fils Kiyomori essaient de se frayer un chemin vers la cour impériale, de retour d'une guerre victorieuse, dans l'espoir d'obtenir de l'estime de la part des puissants en lieu et place du mépris ancestral.

La couleur en teintes pastel, chose rare chez Mizoguchi (sa filmographie, essentiellement en noir et blanc, ne comptera que deux tentatives de la sorte), contribue très efficacement au sentiment d'immersion, notamment dans les premières séquences, en évoluant dans différents recoins d'un marché. La dynamique des foules, les scènes de liesse au même titre que les échauffourées, témoigne un certain sens du détail très appréciable. Tous ces éléments graphiques composent aussi un discours, en illustrant successivement les différentes situations de domination, lorsque Tadamori est traité avec condescendance, puis lorsqu'il est adoubé (avec les costumes de circonstance) avant d'être à nouveau déchu. Ce sera la même chose pour Kiyomori, attiré par les beaux tissus, dans sa position de valeureux guerrier pourfendeur de la superstition : la scène en habits de combat, où il tire sur les miroirs des palanquins avec son arc, brisant ainsi des croyances centenaires entretenues par les moines opportunistes, est d'une grande beauté. Mizoguchi fait le choix de ne pas s'intéresser aux conséquences ultérieures de ces actes, au-delà de la terreur immédiate suscitée chez les moines, pour se concentrer sur la confiance nouvelle dont Kiyomori peut enfin bénéficier, sûr de l'identité de son géniteur et de ses origines après avoir déjoué un complot.

D'un scénario historique complexe jalonné de conflits politiques, Mizoguchi en extrait une très belle parabole sur l'avènement de la gouvernance des samouraïs. Une plongée acerbe dans le système féodal profondément inégalitaire, gangréné par les luttes de pouvoir, qui ne sera dépassé que par l'acharnement d'une émancipation sacrilège mais bienveillante, à travers les classes et détachée des liens parentaux traditionnels. La dernière séquence, dans laquelle Kiyomori observe sa mère insouciante dans une vaste champ sans pouvoir l'approcher, offre en ce sens un délicieux dernier regard.

arbres.jpg, juin 2020 arc.jpg, juin 2020 foret.jpg, juin 2020 robe.jpg, juin 2020