lundi 07 novembre 2022

André et les martiens, de Philippe Lespinasse (2016)

andre_et_les_martiens.jpg, sept. 2022
"Si Michel-Ange l'a fait, pourquoi pas moi ?"

Les méandres du sujet de André et les martiens deviennent progressivement tangibles à mesure que la petite heure du documentaire se déroule. Philippe Lespinasse nous embarque dans un voyage assez intime auprès d'artistes appartenant au courant de l'art brut (je ne connaissais pas, et la différence avec l'art naïf m'est encore étrangère), un terme par lequel le peintre Jean Dubuffet désigne les productions de personnes exemptes de culture artistique. L'exercice exige un minimum de pudeur et de sensibilité bien placée pour découvrir en douceur ces univers farfelus, extrêmement baroques, sans que cela ne vire au voyeurisme ou à la recherche du sensationnel. Devant sa caméra, la thématique n'a qu'à se développer délicatement, pour nous laisser contempler le spectacle de cette folie artistique et de ces saillies créatives.

André et les martiens ouvre le champ de ces mondes extraordinaires dans lesquels semblent vivre 5 individus, à la frontière de la marginalité, du handicap, et de la singularité. C'est à mes yeux un même thème voisin de celui de Le Pays du silence et de l'obscurité de Herzog, avec Fini Straubinger, une vieille dame sourde et aveugle qui a pu entendre et voir dans son enfance. Un film qui aborde notre limite de perception, notre rapport à la norme, notre carcan intellectuel et sensible. On aurait aimé en voir beaucoup plus que cette petite heure, entouré de personnes qui pensent en toute franchise et simplicité : "si Michel-Ange l'a fait, pourquoi pas moi ?". Encore que, il apparaît assez difficile de bien le cerner, André Robillard, notamment après la dernière séquence : ne serait-il pas en train de se foutre royalement de notre gueule ? Et je découvre qu’André dispose de sa propre page Wikipédia...

Il y a donc André, interné à 9 ans en 1935, fabriquant compulsivement des fusils par milliers, des fusils inoffensifs construits avec des objets très divers, regrettant que Bachar el-Assad ne les utilise pas (car ils ne font aucun mal).
Il y a Paul Amar, le grand constructeur de structures et objets en coquillages, avec des tableaux et des sculptures hors du commun, étalés entre le religieux et le grivois, qui se considère comme un bon ouvrier.
Il y a André Pailloux, un cycliste amateur avec son vélo chargé de manière très improbable mais surtout créateur de tourne-vent de toutes les couleurs, formes, et principes (et silencieux, surtout).
Il y a Richard Greaves, un architecte silencieux construisant ses cabanes poétiques au Québec selon des principes bien à lui — "les clous, ça fait mal au bois, c'est mieux la ficelle".
Et il y a Judith Scott, une jumelle trisomique abandonnée, tisseuse de cocons impressionnants, très affectueuse.

Le rapport de confiance qu'a installé le réalisateur est ténu, et même s'il est parvenu à conjuguer des dimensions sensibles et artistiques, la sensation que le documentaire aurait pu être un chef-d'œuvre est tenace. Il manque une vision, très clairement, mais aussi un minimum de technique — la qualité de l'image, de la mise en scène, du cadrage, etc. laisse vraiment à désirer. On accède ceci dit à une forme d'expression artistique totalement indépendante, évoluant presque en vase clos, sans filiation, et profondément singulière, en provenance de personnes très solitaires, évoluant dans des univers qui renversent pas mal de perspectives. Les codes esthétiques semblent abolis, l'inventivité est chaotique, des gens qui refusent la plupart du temps le qualificatif d'artiste (même si certaines de leurs œuvres se sont déjà vendues plusieurs milliers d'euros) et qui s'adonnent à une création extrêmement répétitive. Et André qui parle martien : ça n'a pas de prix.

img1.jpg, sept. 2022 img2.jpg, sept. 2022 img3.jpg, sept. 2022 img4.jpg, sept. 2022 img5.jpg, sept. 2022

jeudi 03 novembre 2022

I Hope You OD, de Bad Mojos (2018)

i_hope_you_od.jpg, nov. 2022

Histoire de pas oublier les fondamentaux : un peu de Punk Garage bas du front par des Suisses en forme. Un album bourrin et sincère, répétitif et débile, emballé en 15 minutes sur 10 morceaux par Voodoo Rhythm. Rien de neuf, rien de technique, mais c'est simple et efficace. Un nouvel album est sorti cette année, exactement dans le même esprit mais un peu plus long : Songs That Make You Wanna Die.

À écouter également : Diggin' My Own Grave.

bad_mojos.jpg, nov. 2022

mercredi 02 novembre 2022

Confession d'un commissaire de police au procureur de la république, de Damiano Damiani (1971)

confession_d-un_commissaire_de_police_au_procureur_de_la_republique.jpg, sept. 2022
Corruption de plomb

Le cinéma italien des années de plomb est un terreau qui a vu naître pas mal de films contestataires très efficaces, de Dino Risi (Au nom du peuple italien, 1971) à Francesco Rosi (Cadavres exquis, 1976) en passant par Elio Petri (Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon, 1970) pour ne citer qu'eux. C'est un corpus qui ne brille pas par sa subtilité et la profondeur de son analyse, avec quelques bâtons dans les roues de l'immersion en raison de tournages souvent en plusieurs langues conduisant à des versions parfois catastrophiques sur le plan du doublage, mais on ne pourra pas leur enlever leur énergie vindicative pour dénoncer la corruption des institutions et l'emprise de la mafia.

En ce sens Confession d'un commissaire de police au procureur de la république (je ne l'écrirai pas deux fois !) se rapproche davantage de Main basse sur la ville, appartenant à un courant et une époque différents mais avec lequel il partage pas mal de points communs. La fragmentation de la temporalité de la narration est assez bien gérée et n'avance pas ses flashbacks de manière gratuite comme c'est parfois le cas, pour présenter in media res les agissements du commissaire Bonavia dans tout leur pragmatisme, dans l'objectif de mettre fin aux méfaits de la raclure Lomunno — l'archétype du promoteur mafieux. Tout le film ou presque tourne autour de ses relations avec un jeune magistrat idéaliste, Traini, en se focalisant sur les obstacles qui permettent aux pourris de vivre en paix.

Un film sur l'impuissance des cœurs purs, et sur le déséquilibre dans les armes employées par le pouvoir institutionnel et par les barons de la corruption. Dans cette dimension-là, le duo Franco Nero / Martin Balsam fonctionne à merveille. La prise de conscience de l'idéaliste vis-à-vis de l'étendue de l'emprise de la mafia sur la société italienne n'est pas très originale mais conserve une efficacité aujourd'hui, avec pour conséquence une neutralisation du système judiciaire de l'intérieur. Les mécanismes criminels sont décrits avec une certaine outrance, mais pour peu qu'on accepte ce style, par exemple dans le tragique des assassinats des lanceurs d'alerte et dans l'autodestruction des hommes bons, il en résulte un souffle mélancolique plutôt attrayant.

img1.jpg, sept. 2022 img2.jpg, sept. 2022 img3.jpg, sept. 2022 img4.jpg, sept. 2022

jeudi 27 octobre 2022

Hootin' 'n Tootin', de Fred Jackson (1962)

hootin_n_tootin.jpg, oct. 2022

Pépite relativement inconnue de Soul Jazz en direction d'Atlanta, et unique album dirigé par Fred Jackson — qui compte beaucoup de projets et de collaborations par ailleurs. Un style versatile, avec une association de sax et d'orgue vraiment originale. Sans doute pas aussi virtuose que les grands classiques de Hard Bop mais beaucoup plus pragmatique et à ce titre beaucoup plus appréciable dans ce registre.

Extrait de l'album : Preacher Brother.

D'autres morceaux sympas : Easin' On Down et Dippin' In The Bag.

fred_jackson.jpg, oct. 2022

dimanche 23 octobre 2022

Le Mystère de la Villa Blanche, de Val Guest (1962)

mystere_de_la_villa_blanche.jpg, sept. 2022
"It's the only thing I hate about this job — ringing strange doorbells and bringing bad news."

Ce film policier britannique appartient au sous-registre des polars procéduraux décrivant de manière minutieuse le déroulement d'une enquête, avec une multitude de détails (signifiants ou insignifiants), accompagnant ainsi les enquêteurs au plus près dans leur travail. L'exercice est curieux, en immersion dans une petite ville au sud de l'Angleterre, et embraye assez vite sur une affaire de meurtre saisie un peu par hasard par deux policiers, suite à une constatation d'effraction dans un magasin en ville. Le cadre est tout de même peu commun : ils retrouvent un corps féminin démembré dans une valise, cachée au sous-sol d'une maison louée sous nom d'emprunt.

C'est le point de départ assez glauque d'un policier presque documentaire, au sens où on suit une routine policière quotidienne dans tous ses détails. Le parti pris peut être rebutant car il est souvent descriptif et dépourvu de véritable péripétie, mais on se laisse bien prendre au jeu de l'enquête minutieuse. On passe à travers une quantité considérable de particularités, d'éléments qui s'avèreront inutiles ou pas, de suspects plus ou moins crédibles. Le film développe un parfum désuet à certaines occasions, comme le comportement de plusieurs personnages (des crises d'hystérie vraiment maladroites ou la réaction des parents de la victime par exemple), mais rien de fondamentalement préjudiciable.

Il faut quand même s'accrocher dans cet univers car il est dépourvu d'acteur charismatique, la photographie est anormalement lumineuse, et les dialogues forment un flux ininterrompu qui donne un rythme très soutenu au film du début à la fin. L'humour (pince sans rire, cela va de soi) n'est pas exclu malgré le sordide de l'affaire, à l'image du plan final révélant qu'un alibi martelé 15 fois était en fait mensonger, ou encore des jeux de regard régulièrement échangés par les deux enquêteurs. Un thriller étonnant de la part du cinéaste Val Guest largement connu pour ses séries B de SF.

img1.jpg, sept. 2022 img2.jpg, sept. 2022 img3.jpg, sept. 2022

lundi 17 octobre 2022

Les Nuits de Chicago, de Josef von Sternberg (1927)

nuits_de_chicago.jpg, sept. 2022
''How long since you had the body washed and polished?''

Si l'on en croit les historiens du cinéma, Underworld est non seulement un des premiers films réalisés par Josef von Sternberg mais aussi et surtout une œuvre matricielle du registre du film de gangster. Et il est très intéressant de constater que c'est un cinéaste austro-américain qui pose les jalons d'un style typiquement américain, qui se poursuivra chez Walsh, Hawks, Curtiz, Leroy, Wellman, Scorsese, Coppola, De Palma, etc. Sternberg incorpore dans ce film focalisé sur des criminels (des anti-héros, donc, chose assez rare à l'époque) des éléments divers : un peu de réalisme (notamment dans les séquences d'action qui voient des façades défigurées), pas mal d'expressionnisme allemand (les découpages des figures dans le cadre, les jeux de lumière omniprésents), et le tout lié par du sentimentalisme mélodramatique 100% états-unien. Très beau mélange pour une expérimentation de la fin des années 1920.

La caractérisation des personnages est très habile et séduisante, étonnamment mature pour son temps. Les gros méchants que sont Bull Weed et Buck Mulligan sont remarquablement interprétés par des acteurs américains avec des tronches patibulaires au poil — George Bancroft, excellent. Le petit minois de Evelyn Brent fonctionne à plein régime également, mais c'est du côté du plus gentil des méchants, l'avocat alcoolo ruiné, que l'interprétation se fait la plus faible avec Clive Brook dans le rôle de "Rolls Royce" Wensel. Pourtant, quand Feathers lui avance "How long since you had the body washed and polished?", il est censé fondre littéralement... Un personnage un peu trop terne pour cette figure d'épave qui reprendra vigueur auprès des deux lascars.

La dose de romance tourne autour d'un triangle amoureux élégant, classique mais efficace, mis en avant à l'aide de la mise en scène et la photographie toujours aussi impeccables de Sternberg — la petite plume qui se détache du manteau de la belle et qui finit aux pieds du protagoniste, Bull traqué par la police qui prend le temps de tremper son doigt dans une bouteille de lait pour cajoler un chaton. Le sursaut de conscience final est bien sûr un peu exagéré, en tous cas d'une rapidité quelque peu incohérente, mais on gardera plutôt en mémoire la scène de bal (festival de serpentins) et tous les codes avant-gardistes du film de gangster énoncés méthodiquement.

img1.jpg, sept. 2022 img2.jpg, sept. 2022 img3.jpg, sept. 2022

dimanche 09 octobre 2022

Meurtres dans la 110e Rue, de Barry Shear (1972)

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"What else brings whites to Harlem but business?"

Ce polar à la lisière de la blaxploitation (pas assez funky et positivement grotesque pour pouvoir réellement y prétendre) est une étonnante variation empruntant les rues sales de New York dans les années 70, décidément bien éloignée de la ville que l'on connaît aujourd'hui. On se croirait pendant tout le film dans les bas-fonds d'une ville oubliée... Cette évolution me sidère toujours autant, quand on compare cet imaginaire d'il y a 40-50 ans à celui de NY aujourd'hui.

Hors sujet : quel dommage que ce ne soit pas la version populaire du morceau éponyme de Bobby Womack présente dans la bande originale !

Ces préliminaires mis de côté, Across 110th Street est tout entier dévolu à la fuite (ou à la chasse à l'homme, selon le point de vue adopté, ce dernier changeant régulièrement) de trois malfrats qui ont eu l'audace autant que la bêtise ou la malchance de braquer les mauvaises personnes. Trois gars de Harlem qui flinguent les gros poissons de la mafia italienne en voulant dérober une somme astronomique d'argent, et des flics au passage, en s'échappant, histoire de corser l'addition. Bilan de l'opération : 300 000 dollars et la moitié de la ville à leurs trousses, d'un côté la police bouillonnante et de l'autre des mafieux marqués au fer rouge. On n'envie pas leur place, à ces trois-là...

J'apprécie énormément la peinture de ce Harlem 70s, dans toute sa crasse, sa misère, ses caïds. C'est bien crado. Côté flicaille, il y a Anthony Quinn en capitaine raciste sur les bords, misanthrope et largement corrompu, qui doit collaborer de force avec Yaphet Kotto, mais on est bien loin des stéréotypes qui lorgnent sur la dimension comique de cette association : ils passeront 1h40 à s'engueuler vertement, toujours à la limite de la baston. Globalement tous les acteurs sont vraiment très efficaces dans leurs rôles et véhiculent une ambiance toute particulière, qui permet à mes yeux de passer outre des éléments de scénario un peu faiblards. Antonio Fargas, toujours aussi remarquable par sa présence — son visage surtout.

La force d'un tel film passe par la fluidité avec laquelle il développe ses atmosphères, et l'articulation de l'ensemble qui fait défiler toute la pellicule en un seul grand mouvement, nerveux, tendu, sordide. La course contre la montre engagée entre la police et la mafia est assez intéressante, pas trop redondante, elle prend à la gorge très vite. Dommage qu'on ait le sentiment que le final soit un peu bâclé, car l'ambiance poisseuse et la tension raciale étaient d'une efficacité redoutable.

img1.jpg, août 2022 img2.jpg, août 2022

lundi 03 octobre 2022

Le Pain, de Manoel de Oliveira (1959)

pain.jpg, août 2022
Poésie du pain et des champs portugais

Le mouvement est à la fois très simple et d'une richesse envoûtante : les champs de blé ondulant sous le vent de la magnifique scène finale auront ruisselé pendant une heure de la terre des paysans vers les machines des meuniers. Le pain sert de support à cette évocation très poétique de la société portugaise des années 50, d'une poésie lyrique digne du cinéma soviétique des décennies antérieures, tel que l'on montré Eisenstein, Dovjenko ou Kalatazov. La caméra évolue de la terre vers les machines, du spirituel vers le manuel, en croisant sur sa route tous les métiers impliqués en faisant le tableau d'un travail continu, presque infini, pour labourer, semer, moissonner, moudre, panifier, et enfin irriguer les boulangeries, les pâtisseries, les restaurants, pour in fine orner la table des paysans qui en ont récolté les céréales.

Derrière le titre d'un film presque désuet, très générique, Manoel de Oliveira embrasse une multitude de portraits, individuels et collectifs, pragmatiques et ésotériques, minutieux et globaux. On passe beaucoup de temps du côté des minotiers, célébration de la science au service de l'alimentation (à une époque manifestement révolue, bien éloignée des problématiques contemporaines à ce sujet), mais on fait aussi un détour par les rues et les enfants affamés qui salivent derrière une vitrine remplie de victuailles. Le point central de ce documentaire reste toutefois le travail et les travailleurs, et en dépit de certains passages un peu longs il suscite une fascination nette à de nombreux niveaux, voyage dans le temps, évocation d'une culture voisine, et surtout observation méthodique de toute la chaîne aboutissant sur une miche. Un festival de matières, de la terre au blé, puis à la farine, puis au pâton, et enfin au pain. Les séquences dans les champs, pour récolter le blé, semer les graines à la volée ou simplement observer les épis évoluer au gré des courants, ont clairement ma préférence.

img1.jpg, août 2022 img2.jpg, août 2022 img3.jpg, août 2022 img4.jpg, août 2022 img5.jpg, août 2022 img6.jpg, août 2022

lundi 26 septembre 2022

Le Nôtre parmi les autres, de Nikita Mikhalkov (1974)

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Western de l'est et chaos de la guerre civile russe

Pour son premier film, Nikita Mikhalkov (le réalisateur de Soleil trompeur, Urga et Quelques jours de la vie d'Oblomov) décoche une flèche aussi tonitruante qu'étrange dans la toile du cinéma soviétique en réalisant un western de l'est doté d'un sens baroque aigu. Il exige un certain temps d'adaptation pour s'immerger, et a posteriori un autre temps pour bien assimiler tout ce qui s'est passé durant les cent minutes écoulées. Le Nôtre parmi les autres est un de ces films russes abordant la Révolution d'Octobre à travers le spectre du prolongement en guerre civile au début des années 20, et en l'occurrence au lendemain de la victoire des bolchéviques. C'est en ce sens une œuvre que l'on peut instinctivement rapprocher du magnifique Rouges et Blancs de Miklós Jancsó qui abordait la guerre sous un angle hongrois.

Mikhalkov produit un récit extrêmement bigarré, versatile, et parfois confus dans la fracturation de sa linéarité. Les ruptures sont nombreuses, beaucoup d'émotions s'entrechoquent, beaucoup de registres cohabitent. Il y a du western spaghetti là-dedans, activé par une bonne grosse dose de nostalgie soviétique, très typique, dès l'introduction qui présente en sépia ou noir & blanc l'amitié de quelques personnages, dans une séquence très kitsch, présente uniquement pour illustrer par la suite à quel point elle volera aux éclats.

L'histoire est celle de cinq camarades soviétiques, des anciens de l'armée rouge, en charge de la protection d'un butin d'or destiné à acheter des céréales pour nourrir un pays en famine. L'or est acheminé jusqu'à Moscou en train, mais une série d'attaques et de vol de voleurs aura tôt fait de l'en empêcher. Au milieu des chevaux, des bandits, des pistolets, des attaques de train et de trésor, il y a donc une trame liée à la trahison, à la convoitise et à l'infiltration vraiment très surprenante. C'est un film qui prend le soin de ne pas brosser le manichéisme soviétique dans le sens du poil, il n'y a pas vraiment le camp des méchants monarchistes opposés aux gentils communistes : c'est avant tout une histoire d'amitié perdue, brisée par l'idéologie. On note la présence d'Alexandre Kaïdanovski (le Stalker), et une mise en scène globalement chaotique qui rend la progression pas toujours très intelligible. Mais une bizarrerie qui vaut le coup d'œil, assurément.

img1.jpg, août 2022 img2.jpg, août 2022 img3.jpg, août 2022 img4.jpg, août 2022

jeudi 22 septembre 2022

Plus dure sera la chute, de Mark Robson (1956)

plus_dure_sera_la_chute.jpg, août 2022 plus_dure_sera_la_chuteB.jpg, août 2022
"The people sit in front of their little TVs with their bellies full of beer and fall asleep."

7 ans après Champion, Mark Robson remet le couvert de l'univers de la boxe et opère un changement de paradigme notable en se focalisant non plus sur le ring et le boxeur incarné par Kirk Douglas en 1949 mais sur l'envers du décor avec Humphrey Bogart en promoteur opportuniste d'un boxeur amateur. On le comprend très vite, on va naviguer dans des eaux plus que troubles, carrément dégueulasses, avec un ballet incessant de magouilles et de compromissions formant l'ossature d'un film noir très élégant.

Le parti pris est intéressant et efficace, car on pénètre dans cet univers aux côtés d'un personnage manifestement amoral, Bogart, présenté comme arriviste, un journaliste sportif appâté par le gain et par les beaux discours de Rod Steiger — parfait en manager véreux, généreux en apparence quand tout va bien et rapidement menaçant quand le vent tourne : "The people, Eddie, the people! Don't tell me about the people, Eddie. The people sit in front of their little TVs with their bellies full of beer and fall asleep". Pas de manichéisme ici, il est présenté dans toutes les teintes de sa personnalité et si l'on met de côté les magouilles évidentes et bien conscientes des matches truqués, on pourrait croire qu'il s'agit d'un ange gardien très maternel avec son jeune poulain de 2 mètres et 120 kilos en provenance d'Argentine. Le point névralgique : il ne sait pas boxer et en définitive The Harder They Fall est avant tout l'histoire d'un mensonge autour de cette montagne, champion de boxe qui n'a en réalité jamais fait ses preuves mais dont on est parvenu à rendre les capacités inquestionnables. Du beau business.

Le duo Steiger baragouineur et Bogart usé pour sa dernière apparition avant de mourir l'année suivante fonctionne très bien, et le film s'inscrit agréablement dans la veine des dénonciations de la décennie, ici sur les mécanismes de la corruption et les ravage des compromissions dans le milieu de la boxe (inspiré d'un véritable boxeur, italien, Primo Carnera). Tout le film peut se regarder sur un ton léger jusqu'à un point de non-retour assez effrayant, le combat de trop, l'affrontement final qui vire à la boucherie et qui transforme le visage du faux champion en champ de bataille ravagé par les coups de poing de son adverse. Il passe sous un rouleau compresseur et ce n'est pas beau à voir — à tel point que cela suscite un sursaut de conscience chez Bogart, on le comprend, alimentant ainsi un discours social sur le massacre des boxeurs qui finissent, au choix, à la morgue, exploités par leurs manageurs, ou clochards dans la rue.

img1.jpg, août 2022 img2.jpg, août 2022 img3.jpg, août 2022 img4.jpg, août 2022

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