Une série policière me sort de la léthargie, il faut dire que le plaisir de lecture est grand. Le contexte historique pour l'Inde dans les années 1920 est un choix assurément passionnant pour ces intrigues policières, cette époque où le Raj britannique se délite. Le troisième roman - avec la permission de Gandhi - en est peut-être le plus emblématique. L'éclairage historique et l'humour subversif d'Abir Mukherjee colorent d'une certaine gaieté ces périodes de colonialisme où les divisions culturelles, religieuses et politiques sont exacerbées.

Calcutta est une ville divisée de plusieurs façons. Au nord il y a Black Town, habitée par la population indigène ; au sud, White Town pour les Britanniques, et entre les deux une zone grise et informe peuplée de Chinois, Arméniens, Juifs, Parsis, Anglo-Indiens et tous les autres qui ne sont pas intégrés. Il n'y a pas de loi qui cloisonne la ville, pas de barrières ni de murs ; la ségrégation est un phénomène naturel qui a évolué sans que personne n'y prête attention. Il y a des bizarreries, naturellement, un Anglo-Indien à Alipore ou deux Anglais à Bow Bazar, mais dans l'ensemble la règle se maintient.

Les enquêtes du capitaine Sam Wyndham et son acolyte indien le sergent Satyendra Banerjee sont palpitantes. Comme toute bonne série policière traditionnelle, l'enquêteur Sam Wyndham est un spécimen de choix du genre humain, ancien combattant de la première guerre mondiale et ancien inspecteur de Scotland Yard, il débarque à Calcutta pour intégrer la police impériale. Son addiction à l'opium - thérapie à ses affres et à ses cauchemars - lui vaut quelques déboires et mauvais détours. Sam à propos de Banerjee son aide de camp :

Partager un appartement avec un subordonné, un indigène de surcroît, n’est pas précisément une pratique courante dans la police impériale, et ma décision de le faire a été accueillie avec stupéfaction par les uns et consternation par les autres, mais cela ne m’a pas dissuadé. En fait, j’aime bien l’idée que mes actes soient vus avec horreur par certains.

Le suspens ne manque pas dans ces trois premiers volets. Les arcanes, les bas-fonds et les forces corruptrices de Calcutta sont le ressort de l'attaque du Calcutta-Darjeeling (2019). L'Inde comme terre spirituelle et superstitieuse est davantage au cœur des princes de Sambalpur (2020) qui lorgne parfois du côté du roman d'aventures dans un petit royaume de l'Orissa. Retour ensuite dans une Calcutta en ébullition avec la permission de Gandhi (2022), Abir Mukherjee positionne l'intrigue dans le théâtre de la mobilisation indépendantiste. Le Mahatma Gandhi et ses Volontaires font le coup de force de transformer le nationalisme en religion pour parvenir à rallier les foules.

[...] Un mouvement national de masse conduit par un saint dont la stratégie consiste à vous sourire avant d’ordonner à ses disciples de s’asseoir, bloquer les rues et faire semblant de prier.

Le quatrième volet - le soleil rouge de l'Assam (2023) - m'attend à ma bibiliothèque favorite et je mise que l'humour, l'intelligence et le suspens seront toujours au rendez-vous.