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Wiseman : "Length is linked to immersion."

Dans la catégorie des films de Frederick Wiseman démesurément longs, Ballet occupe une bonne place, avec ses près de trois heures aux côtés de l'American Ballet Theatre, la compagnie de ballet new-yorkaise la plus importante à l'époque du tournage, au début des années 1990. Qu'il s'agisse d'une troupe très homogène de danseurs ou un club de boxe (voir ici) rassemblant une population particulièrement hétérogène, la méthode observationnelle du documentariste est d'une efficacité nette qui n'a depuis longtemps plus besoin de faire ses preuves. On capte l'ambiance à travers une diversité de facteurs intéressante, ici en passant par les échauffements, les entraînements, les répétitions inlassables des mêmes gestes qui varient d'une quantité infinitésimale jusqu'à ce qu'ils correspondent à la vision des chorégraphes, les traditionnels échanges conflictuels (ici en l'occurrence une personne côté administratif qui se bat au téléphone au sujet d'un doublon dans le programme posant de très sérieux problèmes financiers), les entretiens en vue de potentiels recrutements, les à-côtés d'une tournée européenne à Athènes et Copenhague, ainsi que quelques extraits de représentations, finalement.

C'est une chose assez rare : le côté "non-écrémé" du montage produit des effets ambivalents, puisque si dans un premier temps il rend le visionnage éprouvant pour le commun des mortels n'étant pas familier ou pas particulièrement intéressé par une telle répétition d'exercices, il renforce au fil du temps le caractère intense de la préparation qui peut ne pas être directement visible lors d'un spectacle le jour J. Sans parler de tous les préparatifs techniques ayant trait aux costumes et aux maquillages, la recherche du mouvement parfait, position des bras, vitesse d'exécution, port de tête, battement des pieds, interaction avec le partenaire, devient presque intelligible. Un travail de titan pour transformer des corps a priori pas adaptés pour ce type de performances, des corps qu'on muscle, qu'on assouplit et qu'on coordonne, pour former un chœur uni et une expression artistique si singulière.

Il y a malgré tout beaucoup de surplus, et on pense en premier lieu à toutes les séquences de détente lorsque la troupe est en tournée en Europe. On comprend la respiration recherchée par Wiseman au montage après deux heures de travail acharné, mais il reste beaucoup trop de gras dans ces scènes à la plage ou dans des jardins, qui transpirent l'insignifiance sur une durée bien trop importante. On peut regretter aussi la place si réduite laissée en dernière intention au ballet à proprement parler, qui laisse au final assez peu de temps pour connecter les deux parties du documentaire. On voit très peu de ce qu'on a scruté lors des préparatifs dans le résultat final, étonnamment. Ce qui marquera le plus fortement, c'est l'endurance titanesque requise pour construire un tel acte, que l'on ne peut que constater, en totale immersion.

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