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"Sais-tu à côté de qui tu es assis ?"

Tartuffe selon Murnau, c'est avant tout un film dans le film, une mise en abîme qui voit un film sur Tartuffe projeté dans le film. Curieuse disposition qui place la pièce de Molière (résumée en 45 minutes) entre un prologue et un épilogue, à des fins morales et explicatives. À l'époque contemporaine de Murnau, l'action démarre par une arnaque exposée à nos yeux de spectateur sans détour : un homme vieux et riche, un peu naïf sur les bords, se fait manipuler par sa propriétaire qui lui fait la cour dans l'unique but de lui faire signer un papier qui assurerait un transfert d'héritage en sa faveur. Mais un jour, le fils du vieil homme surprend la harpie au beau milieu de ses manigances, et afin de régler le problème, il se déguise en projectionniste ambulant pour leur proposer une séance qui ne sera autre que l'histoire de Tartuffe.

Le principe est assez simple, puisqu'en exposant au travers de cette projection les méfaits de Tartuffe (un personnage de cour, Orgon, est tombé sous l'influence de Tartuffe, un grand hypocrite et un faux dévot, et ce dernier tentera d’accaparer ses biens et son épouse), la conclusion arrive immédiatement via un carton annonçant en substance "les hypocrites sont partout, et toi, sais-tu à côté de qui tu es assis ?". Une fable morale à l'intérieur du film, donc, qui résonne aussi de la même manière à la fin des années 1920 en Allemagne.

La grande attraction du film, même si elle arrive assez tardivement, c'est bien sûr Emil Jannings dans le rôle de Tartuffe, tout en excès, avec une tête assez incroyable qu'il essaie de dissimuler régulièrement derrière son petit livre symbole de pureté. Un grand monstre pétri de grotesque, de grimaces, à la limite de la difformité. Ce n'est manifestement pas un film qui figurera dans les grandes réalisations de Murnau mais c'est tout de même un théâtre d'expérimentation appréciable pour son expressionnisme allemand, avec en l'occurrence une affirmation de la puissance du cinéma comme révélateur de vérité (il sert entre autres à démasquer les imposteurs). Très belle séquence à la fin du film — projeté — lorsque le comportement de Tartuffe envers la femme d'Orgon trahit sa véritable nature, démasqué par Elmire elle-même en le séduisant, à la limite du cinéma horrifique.

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