Prise d'otage, pire ratage

On n'attend pas nécessairement José Padilha, le réalisateur des Tropa de Elite et du remake de RoboCop, sur le terrain du documentaire. Pourtant, les thèmes de Bus 174 (Ônibus 174, sa première réalisation sur laquelle il fut secondé par Felipe Lacerda) rendent assez naturel le lien avec ces fictions puisque les forces de l'ordre brésiliennes occupent une place centrale dans cette histoire restée très célèbre au Brésil, malheureusement. Une prise d'otage qui tourna mal, le 12 juin 2000, dans un bus de Rio de Janeiro, qui aurait pu être d'un loufoque involontaire et comique s'il n'avait été question que de l'incompétence folle des policiers dans la gestion de la crise — un otage est mort et l'auteur du détournement, Sandro Rosa do Nascimento, fut vraisemblablement tué par la police juste après son arrestation, loin des caméras.

Les faits, si on se limite à ce qui nous est montré ici, sont proprement incroyables et auraient été taxés d'excessifs ou d'invraisemblables s'ils étaient survenus dans le cadre d'une fiction, cela ne fait aucun doute. Un jeune camé des favelas, armé, monte dans un bus et immobilisera le véhicule avec ses passagers pendant quatre longues heures : petite particularité locale, la police était remarquablement peu formée et peu compétente face à ce genre de détournement, à tel point qu'elle n'établit même pas de périmètre de sécurité autour du véhicule. Conséquence ahurissante, tous les médias du coin ont pu s'approcher du bus autant qu'ils le souhaitaient et filmer en direct le déroulé de l'intervention (ou plus précisément de la non-intervention), avec une foule de badauds massée autour des quelques policiers, totalement crédules et incapables devant cet homme menaçant de tuer ses otages avec son pistolet. Histoire de corser la situation, le responsable des opérations, une fois arrivé sur place, reçut l'ordre de la part de politiciens de ne pas abattre le preneur d’otage — cela aurait fait tache à leurs yeux, avec ces dizaines de caméras braqués sur le bus. Pourtant, Nascimento passera à de très nombreuses reprises la tête par une fenêtre du bus, s'exposant de manière ostensible, et laissant apercevoir à quel point la cocaïne et la colle sniffées lui avaient ravagé la cervelle.

C'est difficile de réaliser que l'on regarde une scène issue de la réalité. Sandro criera d'ailleurs lui-même "Ce n'est pas un film d'action les gars, c'est du sérieux !", entre deux cris de victimes terrorisées. Les deux heures du documentaire maintiennent un suspense assez tenace (sans que cela ne soit déplacé, puisque certaines personnes présentes dans le bus témoignent a posteriori pour le docu) et prend le temps de circonscrire les événements. Sans établir un portrait sociologique fouillé des favelas de Rio, les réalisateurs abordent longuement la situation des prisons (celle de Midnight Express pourrait presque paraître enviable en comparaison), la tragédie des enfants des rues, et tout ce qui gravite autour en matière de drogues ou de bavures. On apprend que Sandro était un rescapé du massacre de Candelária, une opération illégale menée par des membres de la police au cours de laquelle 8 sans-abris dont 6 mineurs furent assassinés... Autant dire que déjà parti d’une situation initiale pas particulièrement favorable, le criminel n'allait pas voir son rapport à la violence institutionnelle s'améliorer de sitôt.

L'incompétence de la police n'ayant aucune limite, les derniers temps de la prise d'otages recèlent une ultime bourde (des tirs policiers blessent un otage, un membre du SWAT croit à tort que l'assaillant est abattu, lui laissant tout le loisir de vider le reste de son chargeur dans le dos de l'otage). Les revendications précises ne seront jamais clairement établies, aucune communication intelligible n'aura été mise en place... Une page décidément bien sale de l'histoire du Brésil.