"What the fuck are you looking at, Kissinger? Shit-ass! Deep Throat is gonna rise again, and you're gonna get yours!"

Immense exercice de style assuré par Robert Altman derrière la caméra et (surtout) par Philip Baker Hall dans la peau d'un Richard Nixon entre réalité et fiction, unique personnage du film qui occupera tout l'espace de son bureau dans lequel il est enfermé avec un magnétophone, une bouteille de whisky ou de cognac, et un pistolet. L'action se situe au lendemain de sa démission contrainte, au terme de la tempête médiatique et politique déclenchée par le scandale du Watergate, et adopte une position extrêmement originale puisque Hall incarne le Président des États-Unis se confiant, face au micro et aux écrans de vidéosurveillance qui renvoient sa propre image, dans un mélange d'éléments factuels et de conjectures / visions spéculatives. On est donc principalement dans une fiction, mais dont la part fictionnelle est censée produire une surcouche de réel permettant de dépasser le portrait traditionnel de Nixon.

L'effet est un peu assommant, il faut le reconnaître. Mais Hall est vraiment incroyable dans son monologue de 90 minutes et parvient à faire passer son personnage à travers une multitude d'états, contrôlés ou incontrôlés, tantôt paranoïaque (beaucoup), tantôt pondéré (un peu). Nixon était réputé pour son langage fleuri peu avare en termes grossiers, et ces insultes rythment un flux de réflexions sur sa vie et sa carrière politique dans un état de conscience aux contours incertains. C'est un film particulièrement éreintant, sans doute davantage pour un public non-états-unien car les références culturelles fusent dans tous les sens — il évoque tendrement sa mère, il insulte Dwight Eisenhower, il se montre relativement condescendant envers Henry Kissinger, et ses rapports à John F. Kennedy semblent mêler rage et respect.

Parmi les nombreux éléments fictionnels, le Nixon du film estime que la grâce qu'il a reçue du président Gerald Ford l'a entaché à jamais aux yeux du public, car pour bénéficier d'une grâce, il faut d'abord être coupable. Il est avancé que le Watergate aurait été mis en scène pour détourner l'attention d'activités plus graves, voire de trahison. Kissinger aurait été à la solde du Shah d'Iran et lui fournissait de jeunes garçons lors de ses visites à New York. Marilyn Monroe aurait été assassinée par la CIA. Le tout est régulièrement entrelacé avec des éléments historiques réels, et c'est la performance de Philip Baker Hall (bien plus que la mise en scène à la hauteur du théâtre filmé) qui parvient à canaliser toute cette exagération, ces sautes d'humeur, cette culpabilité formant un cocktail explosif lorsqu'elle se mêle à la frustration.