Près de trois heures de déambulations dans la région du canal de Panama, au milieu des années 70, à une époque où il s'agissait encore d'un territoire des États-Unis — le Panama ne retrouvera le contrôle complet du canal qu'en 1999. Frederick Wiseman quitte ainsi le sol des États-Unis pour la première fois, mais sans vraiment le quitter, puisque Canal Zone s'attachera à décrire une communauté américaine déportée, implantée artificiellement dans une région de 1500 kilomètres carrés, pour une année anniversaire un peu particulière : 1976, soit le bicentenaire de la fondation des États-Unis. L'occasion pour la communauté locale de manifester un patriotisme sincère et total, drapeaux tous azimuts, et surtout pour Wiseman l'occasion de s'immerger au sein d'un espace-temps qui paraît empreint d'un surréalisme discret mais savoureux vu d'aujourd'hui.
Si le procédé employé par Wiseman sur ce projet est rigoureusement conforme à toute la partie documentaire de son œuvre, c'est-à-dire des centaines d'heures de rushes assemblées au montage pour former un portrait qui s'attarde autant sur des détails que sur des événements importants, on peut relever un premier pas de côté dans Canal Zone. Pour la première fois, il ne s'intéresse pas à une institution particulière (un hôpital, un lycée, un tribunal, etc.) sur un territoire mais bien à un territoire lui-même, défini au travers du spectre de ses nombreuses institutions. En ce sens, c'est un cousin éloigné de Monrovia, Indiana dont le sujet était tout aussi vaste, lui aussi d'une ampleur un peu trop vague. Et puis Canal Zone est à ranger dans la catégorie des docus pour lesquels Wiseman semble s'être quelque peu laissé aller pour le montage, comme emporté par l'étendue des thématiques, et a conservé de très nombreuses séquences en intégralité, ce qui donne l'impression d'un film un peu boursouflé par endroits.
Tout y passe : après une courte introduction sur le canal à proprement parler incluant balade sur l'eau et petit cours d'histoire, le film passe en revue tous les aspects de la vie locale. Il y a la partie technique, avec le fonctionnement du canal, les opérations fluviales et les agences gouvernementales, les bateaux et leurs pilotes, et il y a la vie dans les alentours, les zones commerciales ou militaires, les résidents avec leurs activités quotidiennes, sociales ou religieuses. C'est une micro-société qui ressemble à un condensé du mode de vie américain, renforcé par la célébration de la déclaration d'indépendance, baignant largement dans les discours humanitaires prônant la liberté (et entre les lignes le modèle américain comme seul modèle valable bien entendu) et les prêches évangélistes répétés jusqu'à l'écœurement.
C'est une vision intéressante de cette Amérique coloniale, qui laisse loin dans l'arrière-plan les autochtones (vivant loin des résidences américaines, vraisemblablement) pour faire le tableau d'une société prospère et sûre d'elle, avec toutes les particularités des habitudes de l'époque : les courses au supermarché qui empilent les boîtes de conserve, les pauses agrémentées de bouteilles de coca ou de bière, les séances de ball-trap aussi sérieuses que les prédicateurs dans leurs églises, les émissions de télé consacrées au dressage des chiens militaires , etc. On peut même y voir des images de l'immense porte-conteneurs Ever Given, de la compagnie Evergreen, qui causa l'obstruction du canal de Suez pendant 6 jours en 2021. Un aperçu d'une société in vitro, transplantée dans cet endroit au carrefour des cultures et du commerce, prise dans son jus quotidien — parfois soporifique — partagé entre des éléments problématiques clairement identifiés (les violences familiales sont trois fois supérieures à la moyenne nationale) et une tendance de fond d'où se dégage une amertume discrète de la part de Wiseman.
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Merci d'être passé par ici ! On m'a déconseillé la suite (je crois qu'il y en a…
30/11/2024, 18:41
Waow. Encore merci, incroyable. Le deuxième "épisode" vaut le coup aussi?
30/11/2024, 18:09