Quel exercice de style, ce film de Bernard Queysanne adapté du roman de Georges Perec, sans dialogue, tout en voix off assortie de bruitages et entièrement dédié à la description dépressive de la vie d'un étudiant à la fin de sa licence... À la seconde personne du singulier, la voix de Ludmila Mikaël raconte sans tarir l'état intérieur de cet homme, partagé entre anecdotes insignifiantes d'un quotidien morne et introspections profondes, sur des images en noir et blanc montrant son errance parisienne.
Une question revient souvent, malgré la courte durée de Un homme qui dort : avec sa voix off omniprésente très littéraire, on se demande s'il n'aurait pas mieux valu simplement écouter le film plutôt que le regarder — ce que j'ai fait dans un second temps, en écoutant la piste audio sans l'image, mais finalement les images que j'avais déjà vues sont revenues se poser sur la voix de Mikaël — voire même peut-être commencer par la lecture du livre.
C'est une narration qui attend 5 minutes avant de nous prendre à la gorge, avec seulement quelques moments de répit, pour se lancer dans un monologue nihiliste sur le renoncement qui a ses passages assommants. Une heure durant, dans un premier temps, le comportement du personnage (Jacques Spiesser) semble conscient, choisi, il paraît être acteur de sa mise à l'écart du monde et atteindre une forme d'équilibre qui lui convient, loin de tout.
Et puis soudainement, dans la dernière étape, Ludmila Mikaël change de ton et se fait plus agressive, plus noire. Elle quitte définitivement sa zone de confort monotone et devient venimeuse. Ce qui ressemblait à un mode de vie confortable laisse place à une angoisse latente, à mesure que l'inquiétude et le doute envahit l'espace. "Il n'y a pas d'issue, pas de miracle". Elle insiste brusquement sur la répétition des mêmes motifs, sur la solitude de sa condition, sur la vanité et la fausseté de ses choix. Des percussions à la limite de la dissonance, stridentes, enflent dans la bande sonore. Les vingt dernières minutes se transforment ainsi en un sommet de désespoir et d'hostilité, elles évoquent le massacre de Charonne et les monstres qui lui inspirent des insultes et du dégoût.
Le travail d'adaptation du livre et la transcription du style de Perec sont très probablement cruciaux, le texte est très fort mais c'est à se demander si cette captation d'une dépression et de ce néant n'est pas plus adaptée au format du roman — à confirmer. Le film de Bernard Queysanne revêt de son côté une dimension anxiogène, légèrement expérimentale, en tout état de cause bizarre avec son parti pris narratif singulier et son rythme implacable.
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