tonnerre_de_dieu.jpg, oct. 2023
"Un optimiste, c'est un homme sans imagination."

Même dans le surjeu du vieux vétérinaire alcoolo et vaguement anar qui se fait chier dans l'immense manoir dont il a hérité, Jean Gabin le soixantenaire en roue libre, excessif à plus d'un titre, reste un personnage attachant capable de débiter des punchlines à un rythme effréné sans écœurer. En fait, il n'y a que dans le registre du film policier, chez Grangier, Lautner ou encore Delannoy, qu'il s'est vraiment laissé aller à des caricatures lourdingues et pénibles — le plus souvent de flics désabusés et omniscients. Ici il opère dans un rôle qui lui convient très bien et avec lequel il semble parfaitement à l'aise, sans doute un peu trop près du cabotinage : le gars irascible et misanthrope, dont la fréquence des coups de gueule est directement corrélée à son taux d'alcoolémie. Selon le niveau d'adhésion aux dialogues (saillants et fendarts, à titre personnel) de Pascal Jardin qui semble avoir allègrement pioché du côté de Michel Audiard, l'enthousiasme suscité pourra autoriser l'effacement de certaines limitations du film, à commencer par la caricature de Gabin et la faiblesse d'écriture des deux principaux personnages féminins en comrpaison.

Le Tonnerre de Dieu est un film du milieu des années 1960, et il est assez intéressant de voir comment il parvient de temps en temps à malmener les codes extrêmement machistes de son temps, que ce soit dans l'introduction de personnages féminins qui ne soient pas réduits à du mobilier (même s'il reste assez limité à ce niveau) et dans le comportement du protagoniste masculin, dont les penchants libertaires iconoclastes servent de terreau d'une part à exprimer ses diatribes (avinées ou non) à fort potentiel comique et d'autre part à revendiquer un positionnement vis-à-vis des femmes en opposition totale avec la norme des mâles locaux. Ce n'est pas du tout un ange, on nous le rappelle fréquemment de manière volontaire ou involontaire, mais sa façon d'accueillir chez lui une jeune prostituée (Michèle Mercier) et le final, sous forme de happy end du grand-parent, détonne largement dans le décorum de cette vieille France. On n'ira pas jusqu'à le qualifier de proto-féministe, loin de là, mais il contient des traces intrigantes d'un décalage à la norme.

Si l'intention première de l'accueil dans son manoir de la jeune femme a trait à une volonté de la débarrasser de son proxénète, le personnage de Gabin est plus complexe, à l'image de la relation avec sa femme (Lilli Palmer). On sent que la zone grise au niveau de ses intentions est assez étendue, il ne semble clairement pas sûr de tout ce qu'il fait ou a pu faire. Mais c'est quoi qu'il en soit au niveau de la gouaille du personnage que le film tire son épingle du jeu, et évidemment on se marre beaucoup quand on voit Gabin malmener le souteneur interprété par Robert Hossein — moment doublement comique puisque ce dernier est le grand amour de Michèle Mercier dans la série de films Angélique à la même époque — et le remettre systématiquement à sa place. Il suffit qu'il récite "nous par ici à chaque arrêt de car, on a l'habitude de descendre boire un coup : l'un dans l'autre, ça fait du 2-3 litres au 100" ou encore "il y a eu la grande peste en l'an 1000 mais tu vas voir la grande merde de l'an 2000" avec sa verve habituelle, accoudé au bar devant son ballon de blanc, pour convaincre. Grand moment comique et improbable aussi lorsque le scénario nous montre Georges Géret en amoureux transi... Le Tonnerre de Dieu ne sera pas le chef-d'œuvre de Denys de La Patellière, il est même bien en-dessous de réussites percutantes des années 1950 comme Rue des Prairies ou Les Grandes Familles, mais conserve tout de même une petite part de délectation.

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