Mais quel bordel ! On sort de Catch-22 comme on sort d'un long tunnel de deux heures, d'un tambour de lave-linge, la tête en vrac et épuisé, en l'occurrence par le déferlement d'informations, d'actions, de ruptures de tons, et de changement de rythmes qui structurent absolument tout le film réalisé par Mike Nichols en 1970 — la même année que M.A.S.H. de Robert Altman qui porte sur un sujet semblable dans un style semblable. Là où Altman choisissait la guerre de Corée pour établir son chaos dans un hôpital militaire, Nichols choisit une base américaine de bombardiers en Italie pendant la Seconde Guerre mondiale. L'idée est la même : montrer, d'une certaine façon, la folie de la guerre (option impérialisme) avec tout ce que cela peut signifier à l'époque, en pleine guerre du Vietnam.
Mais alors attention, on est très loin du Nichols de Le Lauréat ou de Qui a peur de Virginia Woolf ?, qui pourraient être taxés de conventionnels et académiques en comparaison de ce film déjanté, qui ne se pose jamais, ne laissant aucun temps mort, collé aux basques d'un pilote qui voudrait se faire diagnostiquer fou afin de fuir les combats. Pour ce faire le film adopte une structure kaléidoscopique proche de l'incompréhensible, alternant entre différents registres d'intelligibilité et de réalité. On ne sait jamais trop où l'on se situe, un rêve, un cauchemar, le passé, le présent... La confusion est omniprésente et il faut bien dire que le visionnage est éreintant. On peut noter la présence, en vrac, de Art Garfunkel (un jeune soldat anonyme, sa première apparition au cinéma), Anthony Perkins (en aumônier), Martin Sheen (un soldat quelconque), Jon Voight (un filou qui se fait du blé sur la base des surplus de l'armée) et Orson Welles (un général barjot qui fait vriller tous les hommes du régiment avec sa jeune et jolie petite-amie).
Le côté très absurde du film qui ne laisse aucun repos est annoncé dès le titre, "catch-22" étant en réalité le nom d'une procédure qui permet à l'armée d'empêcher les GIs de partir trop facilement : ceux qui souhaitent se faire déclarer fous pour être rapatriés et qui disent qu'ils sont trop siphonnés pour aller piloter des bombardiers ne le sont finalement pas, puisqu'ils ont conscience du danger de la chose. Et au milieu, du graveleux, du gore (un gars se fait découper par un avion en rase motte), et un rythme frénétique alimenté par des flashbacks qui vont et viennent sans prévenir, comme autant de virages inattendus. Une satire violente, parfois drôle, en tous cas très hétérogène et singulière.
2 réactions
1 De Jim - 07/07/2023, 10:56
En effet !
Si la folie du récit, son aspect débridé, convient a priori à ce jeu de massacre, l'ensemble finit par pâtir de son manque de tenue, qui fait que cette adaptation d'un classique de la littérature moderne américaine peine à s'inscrire dans la mémoire : on en parle rarement... (au contraire de M.A.S.H., peut-être moins ambitieux mais mieux équilibré)
Reste de beaux numéros d'acteurs, du regretté Alan Arkin au monstre sacré Orson Welles.
2 De Renaud - 07/07/2023, 12:35
C'est très bien résumé, un avis que je partage même s'il faudrait que je le revoie, je suis à peu près sûr que je ne l'apprécierais plus autant aujourd'hui.
Et un film d'acteurs oui, Welles imposant comme d'habitude. Le visionnage du film et la publication de ce billet sont complètement décorrélés de la mort récente de Alan Arkin, mais la coïncidence est bien là...