j-ai_vecu_l-enfer_de_coree.jpg, déc. 2019
"I just don't understand you. You can't eat with them unless there's a war."

La guerre de Corée vue par Samuel Fuller, à travers ce film produit en plein milieu du conflit qui s'étala de 1950 à 1953, constitue un diptyque intéressant avec la version que délivrera Anthony Mann quelques années plus tard, dans Côte 465 — ou "Men in War" en version originale, qui donne une meilleure idée des intentions universalistes de l'œuvre. Les deux films de guerre partagent la même dimension d'exercice de style, en se servant de ce conflit comme support pour alimenter des réflexions beaucoup plus générales, le même type de budget, qu'on imagine pas vraiment mirobolant (comme en témoignent la quantité de gros plans dans certaines séquences tournées en studio et les stock-shots pour figurer les tirs d'artillerie), et le même recours à des personnages archétypiques pour incarner un discours relativement clair.

Le protagoniste, un sergent bourru autoritaire et impulsif interprété par Gene Evans, semble être un mélange des deux personnages principaux chez Mann, Robert Ryan le faux dur au cœur tendre et Aldo Ray la brute épaisse impitoyable. Le genre à répondre "fertilizing a rice paddy with the rest of the patrol" quand on lui demande où est passé son commandant. C'est avec lui qu'on s'immerge directement dans la guerre, avec un premier plan sur son casque marqué par un impact de balle, avant de découvrir qu'il est le seul survivant de son bataillon, mains liées dans le dos, se débattant comme il peut au milieu d'un champ de bataille jonché de corps américains. L'image est marquante, et ce d'autant plus lorsqu'on réalise que l'on est en 1951, que la figure du soldat américain reste quelque chose de sacré, et que peu de films ont montré des GIs morts de manière aussi frontale dans le cadre d'une guerre en cours. C'est d'ailleurs le tout premier film portant sur la guerre de Corée. Chose tout aussi étonnante : dans le même mouvement, dans une très belle continuité, on voit s'approcher un personnage asiatique, regard dur, mitraillette en bandoulière, parcourant la zone en plans serrés. On imagine le pire, avant de découvrir qu'il s'agit d'un enfant de Corée du Sud, et non du Nord, tout content de rencontrer un sergent américain. C'est la première pique d'une longue série, malmenant les a priori et autres stéréotypes.

De ce groupe disparate constitué de novices et de vieux briscards, d'Américains blancs et noirs, de soldats étrangers combattant du côté des États-Unis et de prisonniers nord-coréens, Samuel Fuller s'amuse à faire émerger de nombreux conflits indépendants de la guerre dans laquelle ils se battent — même si cette guerre de Corée restera au centre, ravivée en toute fin avec l'ultime mention s'affichant à l'écran : "there is no end to this story". Régulièrement, des points saillants se font sentir. On questionne les motivations du personnage noir, lui qui est traité comme un sous-homme aux États-Unis ("You can't eat with them unless there's a war"). On questionne celles du personnage japonais, lui dont les parents ont probablement été jetés en prison à la fin de la dernière guerre, de retour en terre américaine, et qui a dû se faire passer pour un Philippin pour trouver du travail. Fuller n'est pas vraiment réputé pour la subtilité de ses incartades, mais The Steel Helmet conserve tout de même une surprenante justesse.

temple.jpg, déc. 2019