guerre_des_espions.jpg, déc. 2022
"Poursuivre sa vie n'est pas toujours une chose agréable."

La Guerre des espions est un chanbara comme je les adore, alliant contexte historique précis (au lendemain de l'importante bataille de Sekigahara, qui a marqué le début de l'époque d'Edo à l'orée du XVIIe siècle, surnommée aujourd'hui "la bataille qui décida de l'avenir du pays" et considérée comme le début non-officiel du shogunat Tokugawa, le dernier à avoir contrôlé le Japon), allusion à l'époque contemporaine (Masahiro Shinoda réalise le film en 1965 et les références à la Guerre Froide peuvent être vues à peu près partout, selon un point de vue de non-aligné), intrigue retorse (bon courage pour comprendre l'intégralité des sous-intrigues au sein de ce réseau dense d'espionnage et de trahison, j'ai dû m'y reprendre à trois fois personnellement, mais sans que le plaisir de visionnage ne soit à aucun moment gâché), et empreinte graphique délicieuse (on pourrait presque considérer chaque plan du film et admirer la composition, le cadre, les jeux de lumière, les angles débullés, les mouvements de caméra, les déplacements des personnages, le contraste du noir et blanc qui rend le sang ténébreux, les ralentis classieux lors des combats, etc.). Même le travail au niveau du son est extrêmement immersif, avec d'un côté des séquences silencieuses lors des phases d'infiltration avec des ninjas qui sautent de toit en toit sans un bruit, et de l'autre des percussions boisées légèrement angoissantes pendant certains affrontements clés.

L'introduction en voix off est assez consistante mais elle pose très clairement le cadre du récit, alors que les clans Toyotomi et Tokugawa sont sur le point de s'affronter à nouveau 14 ans après la fameuse bataille de Sekigahara en 1600. Toute l'histoire est racontée du point de vue de Sasuke, un samouraï espion à la solde d'un troisième clan neutre dans le principal conflit. Suite à deux meurtres impliquant les différentes parties dans lesquels il se trouve mêlé malgré lui, sa neutralité est mise à rude épreuve entre l'enquête à mener et sa peau à sauver. Le conflit entre différentes factions sera à la fois sanglant, fractionné, et particulièrement abstrus.

Même si les détails de l'intrigue politique restent sans doute inaccessibles pour le commun des mortels (en dehors des fins connaisseurs de l'histoire du Japon je suppose), cela n'empêche en rien d'apprécier les nombreux rebondissements qui rythment le film et la mise en scène tranchante comme un katana. Pour le dire autrement, on est totalement paumé (comme le protagoniste, un peu moins sans doute) dans cette intrigue tortueuse où tout le monde espionne, trahit et trucide tout le monde, ou presque. Ce n'est manifestement pas un hasard si de nombreuses séquences s'illustrent par leur obscurité ou par la brume qui envahit l'écran, et si les faux-semblants sont légion — à l'image du samouraï caché sous d'épais tissus blancs pour dissimuler sa lèpre.

Ce bordel scénaristique, excessif dans sa densité et dans son chaos, ne trouvera grâce qu'aux yeux de ceux qui sauront se satisfaire de la stylisation à outrance et se délecter des scènes de combat très peu nombreuses mais extrêmement bien mises en valeur. Elles baignent dans une forme d'abstraction qui en rebutera certains, c'est sûr, mais ce minimalisme très expressif aura à titre personnel été une vraie sucrerie. L'impression que tout est parfaitement millimétré, entre les ninjas faisant preuve d'une détente surhumaine et les sabres qui font rigoureusement pleuvoir des morts à chaque coup. À ranger non loin du très beau film de Satsuo Yamamoto sorti quelques années auparavant, Le Secret du ninja.

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