secret_du_ninja.jpg, oct. 2020
Ninjas & Samouraïs

Le Secret du ninja pourrait laisser penser, pendant un long moment, qu'on s'aventure dans un chanbara des plus classiques : l'action est située à la fin d'une période de guerres civiles au 16ème siècle, la question de la rivalité entre plusieurs clans ennemis pour accéder au shogunat fait très vite surface, avec son réseau dense de complots en tous genres maillant une grande partie de l'espace de la narration. Il y a le chef d'un clan qui se présente comme supérieur aux autres (interprété par Tomisaburo Wakayama, le héros de la saga Babycart), et tous les rivaux qui ne pensent qu'à le contrarier dans ses projets : on pourrait très bien se trouver chez Kurosawa ou Kobayashi.

Mais Satsuo Yamamoto investit un registre quelque peu différent des samouraïs, même si ces derniers restent présents en arrière-plan : celui du film de ninjas. Loin des expérimentations baroques que la Shaw Brothers a pu produire, à l'instar des très beaux Five Element Ninjas ou encore Shaolin contre Ninja sortis deux décades plus tard, Le Secret du ninja adopte un style extrêmement classique dans sa mise en scène, avec une magnifique photographie en noir et blanc qui décuple intelligemment (c'est-à-dire sans esbroufe) la virtuosité des ninjas. Leur conception des arts martiaux ainsi que leur code d'honneur, différent de celui des samouraïs (il s'agit d'espions qui, s'ils sont pris, devront notamment être prêts à tout pour ne pas livrer leurs secrets), donne naissance à une intrigue sensiblement différente avec en son centre un personnage historique : le talentueux Goemon Ishikawa.

C'est un tableau très sombre du Japon de cette période de guerres (baptisée Sengoku), au sein duquel les ninjas sont autant valorisés pour leur technique de combat et d'infiltration qu'exposés dans leur asservissement, entraînés par leur hiérarchie dans des luttes plus ou moins obscures entre différents seigneurs de guerre. Le récit arbore à ce titre une quantité importante de secrets, de faux-semblants et autres chausse-trapes. Avec son histoire retorse et ses personnages secondaires abondants, la narration manquera sans doute de clarté et sa complexité pourra par moments véhiculer une confusion assez décourageante. Mais la peinture du Japon féodal conserve une intelligibilité nette à travers le climat de machination qui sous-tend l'ensemble, à travers les assassinats (une séquence géniale, reprise dans un James Bond, On ne vit que deux fois, avec un empoisonnement nocturne via un fil déroulé depuis le plafond jusque dans la bouche d'un seigneur), les affrontements réalistes (tout élément fantastique est exclu), et le climax final de chaos destructeur. En toile de fond, un regard vraiment original sur la condition sociale du ninja, perçu comme un pantin aux ordres de ses supérieurs.

attaque.jpg, oct. 2020