La Justice des hommes (The Talk of the Town) est un drôle de film : là où on pourrait attendre un traitement "sérieux", par exemple dans le cadre d'un film noir ou d'un mélodrame (comme son très beau Une Place au soleil qui sortira 10 ans plus tard), George Stevens a recours au registre de la comédie permanente pour traiter des thématiques liées à la justice, et plus précisément à l'injustice. Sur le papier, on dirait du Capra : Cary Grant incarne un innocent injustement accusé d'avoir incendié une usine de textile et d'avoir tué une personne à cette occasion. Tout le film le suit dans sa fuite (même s'il n'ira jamais beaucoup plus loin que dans la maison voisine de Jean Arthur), afin d'échapper non seulement à la police, bien sûr, mais aussi à une foule en délire, assoiffée de lynchage, que le directeur de l'usine incendiée a pris soin de chauffer à blanc. Mais loin des traitements dramatiques sur ce thème précis, comme les très beaux La Poursuite Impitoyable d'Arthur Penn ou Furie de Fritz Lang, la tension sera constamment évacuée par le gag, par la gaffe, ou par l'irruption inopinée du loufoque. L'argument ayant trait à la notion de justice intervient quant à lui à travers la personne de Ronald Colman, dans la peau du Professeur Michael Lightcap, un juriste haut placé qui évoluera d'une position très théorique, en campant sur ses principes philosophiques, vers une mise en situation beaucoup plus prosaïque (et moins confortable, fatalement), afin de faire coïncider légalité et légitimité.
Là où le film diffère sensiblement d'un Capra, c'est dans la tonalité générale : celle de la comédie tendance screwball (sans jamais y tomber complètement), que ce soit à travers les innombrables jeux de cache-cache auxquels s'adonne Cary Grant, les multiples quiproquos et confusions, ou encore les joutes oratoires de très bon goût. Il y a bien ce final extrêmement académique, au cours duquel Colman énonce sa pensée sur la morale et la justice, sur la nécessité de cette dernière dans un grand pays libre comme les États-Unis, sur l'obligation des citoyens de la protéger, etc. On connaît la chanson : "This is your law and your finest possession - it makes you free men in a free country. Why have you come here to destroy it? If you know what's good for you, take those weapons home and burn them! And then think... think of this country and of the law that makes it what it is. Think of a world crying for this very law! And maybe you'll understand why you ought to guard it."
Mais le discours se double par ailleurs d'une certaine nuance, dans la mise en œuvre de ce sacro-saint principe de justice, en condamnant aussi bien ceux qui ne respectent pas la loi que ceux qui la considèrent uniquement comme une notion abstraite, une série de principes théoriques qu'il suffirait de connaître et qui seraient automatiquement appliqués. "The law must be engraved in our hearts and practiced every minute to the letter and spirit. It can't even exist unless we're willing to go down into the dust and blood and fight a battle every day of our lives to preserve it."
Le côté semi-patriotique et un peu naïf (à la Capra, encore une fois) peut faire sourire, mais il contrebalance habilement un autre point de vue, celui de la victime (Cary Grant) qui aura subi une mauvaise application de la loi. Il le dira avec beaucoup d'amertume, entre deux blagues et deux séquences de jeu au chat et à la souris autour de la maison : "What is the law? It's a gun pointed at somebody's head. All depends upon which end of the gun you stand, whether the law is just or not." À ce titre, l'oscillation régulière entre comédie légère et mélodrame judiciaire pourra gêner dans le rythme soutenu qu'elle impose de force. Mais la dynamique générée par le trio Grant / Arthur / Colman reste quoi qu'il en soit extrêmement efficace, et la série ininterrompue de dilemmes moraux qu'ils incarnent et auxquels ils se trouvent confrontés tour à tour constituent autant d'enjeux hautement engageants.
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Oui, agréable surprise dans la catégorie "drame" de chez Lumet !
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Merci d'être passé par ici ! On m'a déconseillé la suite (je crois qu'il y en a…
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Waow. Encore merci, incroyable. Le deuxième "épisode" vaut le coup aussi?
30/11/2024, 18:09