liebelei.jpg
La narration par la mise en scène, du hors-champ au travelling

Dernier film de la période allemande d'Ophüls, premier de cette période que je vois. Habitué à ses films français arborant un formalisme jusqu'au-boutiste, on peut apercevoir en germes (et même davantage que ça) des éléments formels discrets qui produisent pourtant un grand effet, même s'ils ne paraissent pas atteindre le niveau d'efficacité d'œuvres ultérieures comme Le Plaisir. Peut-être une histoire de budget, peut-être aussi que la piste audio (travail remarquable coordonné par des cinéphiles de l'ombre, faisant honneur notamment à l'accompagnement musical) affecte le film dans cette direction-là. Mais l'essentiel demeure : ces travellings avant ou arrière, lents, presque dissimulés, bras armés de la narration, faisant délicatement passer d'un premier premier plan à un second premier plan, sont vraiment très adroits. La maîtrise technique du medium cinématographique par Ophüls, en 1933, n'est résolument pas ordinaire.

Dans les derniers temps de l'Allemagne non-nazie, Liebelei (flirt ou amourette en allemand) dresse le portrait de la société viennoise quelques décades en arrière, bien avant la Première Guerre mondiale. On ne comprendra le but de la manœuvre qu'à l'issue du film, au moment d'un duel. Si la majeure partie du film s'attache à décrire la relation amoureuse au sein de deux couples très différents, c'est sur une critique des codes d'honneur surannés que Liebelei se clôt, en explicitant leur absurdité. Une piqûre anti-militariste semble-t-il, en observant les sentiments amoureux se disséminer au sein d'un régiment de dragons de l'armée autrichienne. Au centre de la romance, Magda Schneider, la mère de Romy.

Peut-être aussi peut-on y voir l'illustration de la communication difficile entre classes, avec d'un côté la fille d'un violoniste et de l'autre le fils d'un aristocrate : c'est la tragédie la plus pure qui les réunira dans un très beau final, tout en sobriété, montrant discrètement les deux croix enneigées. Une sobriété bien présente dans les moments-clés, que ce soit pour signifier la mort d'un des deux duellistes (le premier coup de feu n'est pas filmé, et l'absence de second coup de feu appartient au hors-champ) ou pour suggérer un suicide (à l'aide de battants de fenêtre s'agitant après le drame). Le hors-champ signifiant, déjà, comme dans Madame de.... Dans ces conditions, le basculement de la légèreté et de l'insouciance vers le drame et la désillusion s'opère très subtilement, sans effusion de sentiments. Peut-être que cette sécheresse émotionnelle est un peu trop grande, d'ailleurs, par exemple pour communiquer le poids d'une relation passée qui fera tragiquement irruption dans le présent.

duo.jpg