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"Le peuple est à la folie Marie !"

Quel voyage émouvant initié par Pierre Perrault, de retour du côté de chez les Tremblay à L'Isle-aux-Coudres, sur le Saint-Laurent, quelques années après Pour la suite du monde, pour les inviter à faire le déplacement en France et y retrouver les origines de leur famille et leurs ancêtres dans le Perche... Quels personnages, ces deux vieux Alexis et Marie, deux personnalités centrales au cœur du pèlerinage, donnant des portraits vraiment incroyables... On coche énormément de cases en ce qui me concerne : documentaire semi-ethnographique, paysannerie, culture québécoise.

Très touchant de découvrir un peu plus en détail l'intimité de ce couple très âgé (avec quand même 17 enfants, 72 petits-enfants, et 7 arrière-petits-enfants, de quoi peupler la région comme 3 siècle auparavant !), avec leurs caractères bien trempés, et surtout l'inscription de leur état d'esprit dans une chronologie culturelle. Le rapport de l'homme au temps et à son environnement est magnifique, merveilleusement bien capté ici à travers d'une part la peur tangible d'Alexis vis-à-vis du futur et de l'époque moderne ("Le peuple est à la folie Marie ! Le luxe… mais on vit moins bien qu’avant je te dis !") et d'autre part dans le contrepoint très calme et plus mesuré offert par Marie, justement, l'air de ne pas y toucher ("il a toujours été vieux… alors avec l’âge…" réplique collector).

Le voyage en France est aussi l'occasion d'établir une série de passerelles, des points communs et des différences, entre les paysans québécois et les paysans français, à travers plusieurs prismes : ils découvrent que les fermes françaises sont majoritairement louées là où au Québec les paysans sont propriétaires de leurs terres et de leurs bâtisses. La mécanisation est plus importante, les tracteurs sont présents un peu partout tandis que l'accès à l'eau courante n'est pas garanti. Surtout, le rite du cochon n'est pas effectué de la même manière, que ce soit pour le tuer, le peler, le préparer, gérer les abats, etc. Ce qui est très drôle, c'est que plus ces cousins éloignés échangent sur leurs différences, plus ils se rapprochent. Ils prennent carrément conscience d'appartenir à la même classe sociale, loin des aristocrates occupés par la chasse à courre par exemple (un très bon exemple qui conforte Alexis dans sa vision des choses, à quelques détails près liés à la résistance notamment).

Un documentaire qui recèle en outre une poésie insoupçonnée, sur les jeux de langues, les spécificités idiomatiques qui se croisent, les accents (délicieux) aussi bien sûr, les pratiques qui se répondent comme un écho de part et d'autre de l'Atlantique à la faveur d'un montage alterné savoureux. Très authentique dans sa démarche, très drôle dans la confrontation qu'il provoque entre ces vieux paysans qui n'étaient jamais sortis de leur Isle-aux-Coudres et qui débarquent en France. Je crois que le plus touchant dans cette histoire, c'est cette incompréhension profonde du monde moderne chez Alexis (le passage avec les motoneiges est à pleurer de rire), et la peur teintée de colère que cela occasionne.

img1.png, juil. 2022 img2.png, juil. 2022 img3.png, juil. 2022