Pierre-Henry Gomont est au scénario, au dessin et aux couleurs de Slava qui se déroule dans la Russie des années 1990. Les deux premiers tomes de cette série qui en comptera trois - Après la chute (2022) et Les nouveaux russes (2023) - sont exquis. Le dessin m'évoque celui de Christophe Blain dans le diptyque Quai d'Orsay que j'ai souvent relu pour me marrer, cependant le coup de crayon est un cran au-dessus à mes yeux de néophyte en bande dessinée.

Slava Segalov et son ami Dimitri Lavrine profitent de toutes les opportunités qu'offre la chute de l'URSS pour tenter de s'enrichir, en pillant par exemple les anciens sites industriels et autres bâtiments soviétiques. Slava, jeune artiste peintre, montre des scrupules à agir de la sorte tandis que son acolyte Lavrine ne fait aucun cas de conscience, voire même redouble d'imagination pour escroquer son prochain sans distinction de classe, que ce soient des petits gens ou de dangereux oligarques.

Le comique côtoie le tragique et la violence précède la douceur. L'auteur use d'une panoplie de procédés comiques qu'il manie avec brio pour nous offrir une tragicomédie savoureuse. Il croque ses personnages comme les situations, cela se voit dans les dessins et cela point dans les dialogues aux accents parfois politiques comme cet extrait d'une interview de l'auteur en fait écho.

Je ne suis pas nostalgique de ces régimes (période du communisme), car j’ai eu conscience immédiatement que cette idéologie a été dévoyée. Néanmoins, que de telles forces, qui ont échoué politiquement, puissent structurer une société socialement était passionnant. L’organisation de la vie quotidienne était guidée par cette idée d’égalitarisme et de communautarisme. Les citoyens se sont accaparés ces principes et on ne comprend rien si on ne sait pas comment la chute du régime soviétique a été à ce point mal vécue là-bas.

Pendant ce voyage, j’ai vu quotidiennement ce sentiment de déclassement, y compris chez les jeunes qui n’avaient pas connu le régime de l’URSS. Il y a un hiatus très fort entre ce que nous avons perçu de cette fin et leur perception à eux. Nous rapportons leur histoire à notre propre modèle en imaginant la liberté retrouvée, la démocratie, sauf que les Russes ont le sentiment qu’on a retiré la puissance d’un État fort et reconnu pour ne la remplacer par rien du tout. Le livre La fin de l’homme rouge, de Svletana Alexievitch [2013, publié chez Actes sud en 2016, ndlr] montre cette complexité. Le désir de s’enrichir ne suffit pas pour organiser une société.

Extrait d'une interview intéressante lors du festival Quai des bulles, à Saint-Malo.