trois_samourais_hors_la_loi.jpg, avr. 2021
Connivences et alliances inattendues

Comment ne pas être stupéfait par l'éloquence d'un tel film ? Un premier film, qui plus est, de la part de Hideo Gosha qui trace déjà son chemin avec le même tranchant que le fil d'un katana... Et des katanas qui découpent, il y en a beaucoup dans Les Trois Samouraïs hors-la-loi, le plus souvent dans des accès de violence à la fois brutaux, soudains, et sanglants. Les combats, dans leur immense majorité, ne s'éternisent pas : quand il faut trancher, ça tranche. Et le sang jaillit comme un geyser, un sang poisseux qui tâche et qui colle aux mains autant qu'aux habits. Mise en scène parfaitement élégante pour naviguer entre les différents pôles du récit, que ce soit les scènes de combat, justement, ou bien les séquences plus descriptives dans lesquelles on prend conscience de la misère des uns et de la cruauté des autres. En accompagnement, le découpage par la lumière est vraiment surprenant, une gestion des ombres très maîtrisée qui laisse percer quelques rayons vacillants sur un sabre, un visage, une blessure.

L'union des trois samouraïs du titre se fera très progressivement et lentement. Dans les premiers temps, rien n'est acquis : un premier ronin découvre une femme prisonnière de paysans pouilleux et, après avoir pris connaissance de leurs raisons et de la bonne santé de la femme, plus par défaut que par choix, décide de rester dans le coin, sans s'engager ni dans un sens ni dans l'autre. On aurait pu croire qu'il allait se faire le sauveur classique, mais non, rien de cela. Au contraire : dans la veine du film de Kurosawa très souvent cité, le samouraï prendra la défense des paysans contre le pouvoir aveugle du seigneur local. Mais loin de la configuration des Sept Samouraïs, les paysans ne prendront pas une part active dans la défense de leurs intérêts, terrorisés par la violence de l'institution.

La dynamique de résolution (ou plutôt d'évolution, disons) du conflit, qui oppose initialement trois paysans à leur seigneur, brille par la qualité de son écriture. Le très beau travail sur la constitution de l'atmosphère graphique rejoint en ce sens le très beau travail sur la narration (sauf peut-être le dernier temps fort, un grand bordel avec une grande baston un peu moins percutante, avant d'aborder le duel final), qui développe l'opposition au pouvoir en place en se donnant le temps et les moyens de décrire et de questionner cette remise en question. S'il n'y a pas à mon sens, sur la longueur, la beauté et la pertinence dans le discours du jalon Hara-kiri, la trajectoire du samouraï que propose d'étudier Hideo Gosha reste extrêmement intéressante.

Le constat social est sans appel, mais cela ne l'empêche pas de maintenir un niveau constant de nuance à travers les différentes figures présentées : que ce soit dans la voie de la rédemption ou de l'accomplissement, il y a de la place pour celui qui désire se faire pardonner pour le meurtre d'un paysan, celui qui est poussé à renier son engagement auprès de son maître, et celui qui prendra la défense des plus pauvres — et à cette occasion recevra une grosse punition à coups de bâton, verra la promesse faite par le sous-chef local brisée, etc. Ces trois personnages, animés par des motivations radicalement différentes, structurent la toile d'un récit agréablement complexe, en restant toujours clair et intelligible, sur fond d'exploitation des plus pauvres par ceux qui détiennent le pouvoir (et ceux qui y obéissent), sans qu'on ne soit jamais perdu dans la multitude des intervenants. Le personnage de la fille du seigneur, aussi, apportera une nuance supplémentaire dans la région située entre les deux pôles antagoniques.

Trois samouraïs hors-la-loi œuvre dans la catégorie de ces chanbaras qui en malmènent les codes, en bousculant les règles, en soulignant des connivences qui ne respectent pas de logiques de classe sociale (bien qu'on les ressente souvent, comme notamment lorsque les paysans forcent la fille du puissant à goûter au millet en bouillie peu ragoûtant), selon des préceptes moraux propres à chaque individu. Soit le difficile maintien de l'autorité, d'un coût très élevé, qui se règlera dans la boue, le sang et la poussière.

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