Il y a deux façons de regarder ce Mars Express de mon point de vue : l'option "verre à moitié plein", avec tout le soin apporté à la création d'un univers cohérent, détaillé, harmonieux, crédible, sur fond de néo-noir cyber punk, et l'option "blasé et résigné", avec le carcan thématique qui s'impose sur toutes les productions de ce type de SF depuis 50 ans et la pression exercée par la multitude de références qui semblent présider à la conception du film de Jérémie Périn. J'ai personnellement du mal à me positionner mais en tous cas, de manière spontanée, on a envie d'adhérer à un tel travail, somme toute assez rare malgré ses défauts et limitations, témoignant d'un amour et d'un soin tous deux évidents pour le genre exploré. Ce pourra être suffisant dans les bonnes dispositions...
À mon sens le film ne parvient jamais à se défaire des liens qui le contraignent sur le plan des enjeux : c'est un type de science-fiction qui parcourt les thèmes classiques dès lors que les androïdes font partie intégrante de la société, et que ce soit dans les péripéties, les questions morales, ou encore l'héritage culturel, on est toujours en terrain assez connu. Les passerelles, qu'elles se manifestent en tant que clin d'œil (Terminator 2 avec un robot méchant et son bras-lame, le final psychédélique à la 2001, l'Odyssée de l'espace) ou filiation profonde (difficile de ne pas voir des pans entiers de Ghost in the Shell, même si les aspects ayant traits aux questionnements existentiels devenus très classiques restent modérés), sont omniprésentes. Mais il ne me semble pas que ça nuise de manière dramatique au récit, qui parvient à développer son ambiance, son style graphique, et son récit proche futuriste (en l'an 2200) explorant l'organisation de la vie humaine entre la Terre et Mars.
Mars Express trouve un équilibre plutôt bien senti en termes d'explicitation des différentes particularités, l'action baigne dans un arrière-plan garni de détails foisonnants mais l'ensemble est suffisamment intelligible pour ne pas nécessiter des tunnels de dialogues explicatifs (du moins pas systématiquement). L'enquête menée par la détective privée (la voix de Léa Drucker, un choix étrange qui ne s'accepte pas spontanément ; celle d'Usul dans un petit rôle, beaucoup plus) et son partenaire androïde se révèle par touches successives, tout comme le passif des deux protagonistes. Il y a une étudiante en cybernétique qui disparaît mystérieusement, une cité martienne futuriste comme apogée de l'utopie technique libertarienne (avec un personnage qui pourrait être le Musk de demain), mais aussi des points de singularité plus saillants (la gestion des résurrections, les magouilles d'une grande corporation, les fermes à cerveaux) qui s'alignent peu à peu vers le final et ce grand programme de "takeover" unissant la classe des robots. La métaphore du racisme n'est ni originale ni extrêmement percutante, mais elle n'est pas une fin en soi ici et laisse le film évoluer vers sa conclusion en maintenant un niveau d'intérêt vraiment très honorable. Le substrat confectionné par Jérémie Périn était vraiment luxueux et aurait largement pu supporter un développement philosophique / axiologique plus étoffé.
2 réactions
1 De Nicolas - 03/06/2024, 17:10
Merci pour ce billet, Renaud !
Malgré mes réserves (le manque de surprises de l'intrigue principale ; le graphisme que je trouvai parfois un peu léger), c'est cette option que je retins, et pour cette raison.
L'usage des références, c'est vraiment à double tranchant.
D'un côté, c'est pratique pour amener le spectateur dans une direction voulue sans passer par de trop fastidieuses explications, et ça plaît aux aficionados des œuvres cités.
D'un autre côté, ça participe à l'enfermement que tu évoques, convoquant des images et des schémas narratifs devenus conventionnels.
Dans ce Mars Express, on trouve bien de l'originalité, mais de détail.
Par exemple, la caractérisation du flic "sauvegardé" : son passif ; sa conception (sa tête...), etc.
Changeons de paradigme ! Délaissons le cyberpunk et célébrons le ribofunk ! :-)
https://www.streettech.com/bcp/BCPt...
Aucun problème pour accepter cette voix, pour ma part. J'imagine que ça tient de l'image que l'on se représente de l'actrice, par les films ou émissions dans lesquelles on l'a vue (très peu d'occurrences pour moi, d'où ma position plutôt neutre).
2 De Renaud - 03/06/2024, 22:57
C'est moi qui te remercie pour ce retour détaillé ! Tu as ouvert une nouvelle dimension avec ce "ribofunk" hahaha, je n'en avais absolument jamais entendu parler...
C'est vrai que pendant tout le film j'ai un peu oscillé entre légèreté et épure... Mais j'ai comme toi le sentiment que les graphismes auraient pu être davantage creusés.
C'est très juste !
Oui c'est sans doute lié en effet. Je ne sais pas vraiment pourquoi j'ai trouvé que ça ne collait pas naturellement au personnage, mais ça doit pouvoir se relier à des rôles / des films vus dernièrement (des rôles très convaincants au demeurant, Jusqu'à la garde, Deux, Incroyable mais vrai, L'Été dernier).