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La femme des roseaux

Regarder Onibaba, c'est prendre le risque de s'exposer à un charme vénéneux, indélébile, persistant. Une beauté brûlante qui marque les rétines au fer rouge et qui laisse dans les cœurs l'empreinte des passions tumultueuses. Une ambiance sans pareille pour un film sans équivalent.

La première chose qui choque, dans le meilleur sens du terme, c'est la rigueur esthétique extrême de l'ensemble. Un travail de composition sans fausse note, sans temps mort, dont la simplicité semble en exacerber la puissance. Une simplicité formelle dans le cadre contrastant avec l'excès qui caractérise Onibaba. Excès dans les jeux de lumières qui saisissent sans cesse les visages, dans le noir de la nuit, dans les huttes, dans les champs de roseaux, dans un Noir et Blanc extrêmement contrasté. Excès dans les comportements des trois personnages principaux, dont l'effusion des sentiments rappelle directement les excès tout autant maîtrisés chez Yasuzō Masumura. Un plan illustre à lui seul cette opposition et cette culture de l'excès, lors de la confrontation entre la belle-fille et le "démon". Seulement deux visages dans le cadre, la fille en haut à gauche, le démon en bas à droite, mais c'est tout le rapport de domination entre les deux qui s'inverse, dans la démesure de la mise en scène.screen9.jpg

Mais au-delà de la beauté frappante de tous les instants, au-delà du caractère incroyablement cinégénique d'un champ de roseaux balayés par le vent et d'un trou "noir et profond" en son milieu, il y a un regard sur la libération sexuelle tout à fait surprenant. Onibaba prend son temps pour poser le contexte original de son récit, une vieille femme et sa bru attendant le retour d'un fils ou d'un époux. Au loin, au détour d'un échange ou reléguée dans des fumées à l'horizon, la guerre fait rage. Mais on n'en verra pas grand chose, simplement des soldats égarés pris dans les filets des deux femmes et le spectre de la mort en découlant. Le calme, la dimension contemplative, et le silence de cette première partie ont même quelque chose de déroutant. Un piège à l'attention du spectateur, pensant évoluer en terrain plus ou moins connu : l'érotisme et l'horreur exquis à venir, nimbés dans une atmosphère sonore confinant au génie (percussions, sons angoissants, cris étouffés : https://www.youtube.com/watch?v=OMIeGZIdpR0), n'en seront que plus sidérants.

Vient le dernier temps du film, celui du fameux masque de samouraï que la belle-mère se procure de façon assez peu conventionnelle. Symbole accroissant la part de mystère, c'est grâce à et à travers ce masque inquiétant qu'elle tentera de propager son idéal de chasteté en effrayant les jeunes amants. Idéal qui se révèlera être l'autre extrémité de deux de ses névroses : une puissante frustration sexuelle (l'arbre mort au milieu du champ s'en rappelle encore) et la peur évidente, touchante, d'être abandonnée par sa belle-fille. Si elle tente de réfréner les passions sexuelles des deux autres habitants de ces lieux en invoquant les esprits malfaisants, c'est plus par crainte d'être seule que par jalousie ou pudibonderie. Et le film passe alors d'un mutisme initial au fracas des mots et des cris, dans une explosion de sons et de sentiments. Le retournement de la question morale, avec l'instrument d’oppression se retournant contre son utilisateur, achève de conférer à l'œuvre de Kaneto Shindō une aura plurielle, étrange, magnétique. Écrasante. Incontournable.

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